Elisabeth Papazian : la battante

Portrait / En avril 2015, le Théâtre Prémol, situé dans le quartier grenoblois Village Olympique, a été ravagé par un incendie criminel. Alors que sa reconstruction est prévue pour 2019, nous avons rencontré Elisabeth Papazian, qui depuis fait tout pour que les activités du lieu perdurent.

« Mais où vais-je chanter, où vais-je danser ? m’a t-on demandé affolé. » Adossée à la chaise de son bureau, Elisabeth Papazian, dont le regard sombre est perçant et la chevelure maîtrisée par un bandeau, revient, la voix nouée, sur l’incendie criminel que son théâtre a subi il y a deux ans. Dans la nuit du 18 au 19 avril 2015, près des trois quarts de la toiture du Théâtre Prémol sont ainsi partis en fumée tandis que la salle, ainsi qu’une partie du dojo et de la MJC attenants, ont été détruits.

« Ça a été un véritable choc pour les habitants » nous assure celle pour qui cet événement « traumatisant » a fait l’objet d’une réelle remise en question. « A-t-on bien fait les choses ? » s’est demandé la Grenobloise qui, depuis 25 ans, est investie dans la vie du quartier Village Olympique.

« J’ai dû gagner leur confiance »

« Le projet Prémol, théâtre socioculturel au service de la culture et des habitants, est né en 1991, alors que je travaillais au sein de la MJC. » À l’époque, Elisabeth Papazian est animatrice socioculturelle et organise des activités culturelles pour les jeunes. Des jeunes « davantage prêts à casser des abribus qu’à se mettre en scène sur un espace public. Ce n’était pas facile, j’ai dû gagner leur confiance ».

Elle prend alors différentes initiatives. « Au début, il n’y avait que des garçons qui fréquentaient Prémol, les filles étaient en marge. Par le biais de cours de danse, elles ont progressivement intégré la MJC. Elles se sentaient en confiance ici. On pouvait aborder des sujets comme la sexualité, chose parfois difficile pour elles. De l’autre coté, les grands frères faisaient barrage. Ils surveillaient les entrées et sorties de leurs sœurs. Mais ils ont finalement compris qu’il n'y avait rien de malsain à pratiquer du chant, du théâtre ou de la danse. »

En 1992, filles et garçons finiront même par se réunir. « J’ai proposé des cours de hip-hop pour mélanger les groupes. C’était une discipline plus accessible aux garçons à l’époque. » Cette même année, la MJC Prémol subit un incendie. Premier coup dur pour Elisabeth Papazian, qui malgré tout « maintient les ateliers de pratique artistique ».

« Présenter à Prémol ce qui se présente ailleurs »

En 2011, la place de directeur de projet se libère au Théâtre Prémol. Elisabeth Papazian, alors âgée de 43 ans, reprend le flambeau avec des ambitions bien précises. « Je voulais présenter à Prémol ce qui se présente également ailleurs. Car il n’existe pas une "culture de quartier", il existe une culture tout court. » Des artistes bien cotés à Grenoble comme le metteur en scène Jacques Osinski (ancien directeur du Centre dramatique national des Alpes) ou le chorégraphe Jean-Claude Gallotta mènent alors des résidences au théâtre.

« L’objectif était qu’ils restent deux ou trois semaines au Village Olympique. Ils ont proposé des stages de pratique artistique et invité le public à leurs représentations au sein de la MC2. » Une manière d’instaurer des liens entre le public et les artistes. « À Prémol, les artistes et le public se rencontrent souvent à la fin des représentations. Ce contact permet non seulement au spectateur d’avoir des réponses à ses questions mais c’est aussi une façon pour lui d’exprimer son avis, dire ce qu’il a aimé ou pas. »

Surtout qu’un spectacle peut soulever des questions qui ne sont pas seulement artistiques. « Je suis issue d’une famille victime du génocide arménien et j’ai bien conscience qu’un nouveau cadre culturel peut être un choc. Ce n’est pas simple de passer la porte de la grande maison de la culture quand on n’a pas les codes, quand on ne comprend pas la pièce. J’explique régulièrement ce à quoi va consister la pièce. Des images, comme le nu par exemple, peuvent offusquer. »

« On s’est relevés »

Et aujourd’hui, plus de deux ans près l’incendie, comment se porte le théâtre ? « Certains pensent que Prémol est mort, c’est faux. On a mis un genou à terre à un moment donné mais on s’est relevés. Au lendemain de l’incendie, compagnies, salles, collectivités et voisins ont volé à notre secours. Ces élans de solidarité étaient pour nous un second souffle. On a réalisé que le théâtre était dans le cœur des gens. »

Dès lors, Elisabeth Papazian décide de ne pas délocaliser toutes les pièces prévues au théâtre, en rapatriant dans l’auditorium de 50 places attenant (et en état de marche) les formats artistiques qui le peuvent. « Les habitants ne pouvaient pas être orphelins de leur territoire culturel, parce que sept d’entre eux avaient décidé du contraire. » Mais les spectacles plus lourds, pour des questions logistiques, se déroulent depuis dans d’autres salles de l’agglomération, comme la MC2, l’Hexagone, le Théâtre 145… « Malheureusement, délocaliser nos pièces, c’est aussi un frein à la culture, car les habitants ne sont pas forcement prêts à payer un ticket de tram. »

Mais ces sortes de "saisons hors les murs" subies devraient bientôt prendre fin. « Aujourd’hui, nous sommes dans la démarche d’"aller vers" » nous explique la directrice lorsqu’elle pense à la reconstruction du théâtre prévue pour 2019. « On ne va pas changer radicalement d’espace mais quelques aspects matériels. L’intérieur sera transformé avec des équipements dernier cri, toujours dans les enveloppes qui sont les nôtres. » Pour ce qui est de la programmation, « elle n’est pas encore définie ». L’équipe envisage néanmoins « d’organiser une nuit au Théâtre Prémol, de 20h à 8h le lendemain. Car la culture se vit à chaque instant ».


Une réouverture du Théâtre Prémol en 2019

C’est ce que nous a confirmé Corinne Bernard, élue aux cultures de la Ville de Grenoble. « Il y a plein d’étapes, c’est compliqué les finances publiques. L’avant-projet définitif est validé, le budget de 1.5 millions est là. Les recettes aussi puisque le Département et l’État accompagnent la Ville sur le projet à hauteur chacun de 270 000 euros. En attendant, on a donné les meilleures conditions de travail à la directrice Elisabeth Papazian, en équipant notamment le petit auditorium d’un gril [une structure métallique fixée au plafond qui permet d’accrocher les projecteurs – NDLR] et d’une régie. Maintenant, vivement avril ou mai 2019 qu’on puisse enfin se retrouver dans un théâtre qui sera encore mieux qu’avant. Car Elisabeth a beaucoup travaillé avec les services de la Ville sur ce qu’il fallait améliorer. »

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