Faste & Nervous

On avait beau s’y être plus ou moins préparé, le choc n’en est pas moindre : “Drop Drop”, second album de Nervous Cabaret, est la confirmation éclatante du talent de la formation. Entretien avec la voix du furieux combo, Elyas Khan, à l’occasion de sa résidence au Ciel. Propos recueillis par François Cau

Les critiques musicaux ont grand mal à vous étiqueter, ils tombent dans le name-dropping en citant Joy Division, Tom Waits, les Clash, Captain Beefheart… Est-ce que l’essence musicale de Nervous Cabaret ne réside pas plutôt dans le pétage de plombs permanent ?Elyas Khan : C’est ça, c’est vraiment la clé. Quand on joue ensemble, on ne pense pas à nos influences, on reste focalisé sur les cinq autres. L’émulation vient de tous les membres du groupe ; s’il n’était pas la combinaison de chacun de nous, on n’aurait pas ce son. Quand je me ramène avec une nouvelle composition, je la soumets au groupe, qui partira dans une direction ou dans l’autre, en fonction de l’essence du morceau. Tout repose sur la liberté qu’on s’accorde. On a tourné énormément ces dernières années, et désormais tout vient de là. Bon, quand t’arrives sur scène avec une section cuivre, des percussionnistes puissants, le public se laisse plus facilement emporter. Un peu à la Duke Ellington, qui tournait avec des cuivres, des percussions, une basse, une guitare – attention, je ne nous compare pas du tout, je dis juste qu’on a ça en commun. Je comprends pourquoi les critiques font dans le name-dropping, c’est leur boulot. Mais sans vouloir me la jouer “grand artiste“, je crois vraiment que Nervous Cabaret possède son propre style. J’espère qu’on est l’un de ces groupes dont on reconnaît la musique rien qu’à l’écoute d’un morceau, des groupes comme aujourd’hui Animal Collective, Tv on the Radio, ou même Arcade Fire. Ou comme Shunatao, dont vous dédicacez Les Enfants du Papillon au chanteur ?Ils étaient géniaux, mais j’ai entendu qu’ils avaient splitté il n’y a pas longtemps, ce qui est vraiment dommage. Ils ont composé quelques-uns des meilleures chansons qu’on ait écoutées récemment. Je les considère comme des musiciens de classe mondiale.En quoi la production de ce second album a différé de celle du premier ?Déjà, il faut prendre en compte le temps qui s’est écoulé entre les deux disques. Sur Nervous Cabaret, on n’avait pas bénéficié en amont de l’avantage essentiel que te procure la sortie d’un album : le temps passé en tournée, à jouer ensemble en permanence. Ne pas te répéter devient une nécessité absolue. Je pense déjà au prochain album, qui devra impérativement être différent de Drop Drop. C’est notre processus naturel, et là, on a eu l’opportunité de faire attention à des détails qu’on n’avait jamais pris en considération. Plus on joue ensemble, plus on commence à s’attacher au moindre détail, à trouver les arrangements qui le mettront en pleine lumière, en un sens, donner de la chair à ta musique. À l’époque de l’enregistrement du premier disque, on avait tous des boulots à plein temps, ce qui nous laissait que peu de temps pour la musique ; cette fois-ci, on a pris le soin de tout conceptualiser. Bon, on a été beaucoup plus strict sur la production, faire un disque coûte extrêmement cher. On a fait le disque en huit jours, l’enregistrement, le mixage, le mastering. Mais cet état d’urgence a dû vous forcer à booster votre créativité…On a pu s’autoriser ça grâce à toute la réflexion préalable, grâce à tout ce temps passé ensemble. J’ai passé trois mois à Paris au sortir de cette grande tournée, j’avais besoin de fuir la sphère culturelle et de me retrouver. Et ça m’a vraiment aidé, j’avais trouvé un tout petit studio à cinq euros l’heure, j’y passais mes journées. Je jouais de la batterie, de la basse, du clavier, je bidouillais sur l’ordinateur, j’ai enregistré des heures et des heures. Ça m’a donné le temps de la réflexion, savoir ce dont j’avais envie, et même améliorer mon propre jeu. Bon, désolé de tomber dans la flatterie, mais Nervous Cabaret et Drop Drop ont quand même un point commun : chaque morceau est unique, mais leur somme est encore meilleure.Merci, ça semble se vérifier en live, la combinaison des deux sets est très agréable à jouer, notre arc musical s’est élargi, c’est excitant.Votre passé théâtral vous est toujours utile en concert ?Les aspects théâtraux étaient plus affirmés dans les précédentes versions de Nervous Cabaret. Maintenant, j’essaie juste de maîtriser mon instrument au mieux, les prestations se sont plus concentrées sur le côté musical. Ça reste forcément présent, dans le sens où mon approche du théâtre réside dans la présence sur scène. En live, tu ne regardes pas tes chaussure, tu as cette énergie singulière qui n’est là que pour transcender la musique et en faire surgir toutes les émotions ET les aspects techniques en parfaite harmonie. La performance, c’est de la discipline et de la relaxation, un mélange de concentration et de frisson. Ceci étant dit, je ne veux pas être faux, je ne veux pas jouer un rôle. La musique est une opportunité d’être complètement honnête. Je veux développer cette technique avant toute chose.Chaque fois que vous évoquez votre biographie en entretien, vous soulignez la violence des contextes que vous avez traversé. Comment gérez-vous cette émotion dans vos interprétations ?Quand tu traverses ce genre de phases, entouré par la violence, ou que tu vis dans la rue sans argent, tu dois te divertir en permanence. Tu n’as pas le choix. Dans les morceaux il y a effectivement des références à cette violence, cette énergie qui t’habite de temps à autre. Mais il y aussi de la fragilité, de la vulnérabilité, et c’est ce qui est le plus intéressant. Le but n’est pas de juste hurler tout le temps, même si ça soulage. Quand on joue agressivement, l’objectif est de trouver le dialogue avec la musique, d’offrir le meilleur contrepoids. Ça ne fait pas de moi une personne violente, ou même un musicien violent. J’aime en montrer l’autre facette, avec humour généralement.Je ne voudrais pas faire de la psychologie de comptoir, mais je me disais que votre voix était votre instrument cathartique…C’est vrai, c’est la raison pour laquelle j’ai voulu chanter. J’aurais pu me contenter de jouer de la guitare, monter un groupe instrumental ou laisser quelqu’un d’autre chanter. Mais c’est essentiel pour moi, je dois tout sortir, si je refoulais tout ça, je deviendrais complètement fou. Après, je sais que ça doit être agaçant pour certaines personnes.Vous avez signé sur un label français (Naïve), deux morceaux de Drop Drop ont des titres français… À quand le déménagement ?On a juste eu la chance de croiser quelqu’un de Naïve qui venait visiter New York, ça s’est fait comme ça. La compétition pour ce genre de contrat est intense, et notre musique est trop “à part“, on n’a pas beaucoup hésité. On a fini notre tournée précédente en France, j’ai l’impression qu’on a traversé les quatre coins du pays. C’est un endroit très beau, que j’avais idéalisé avec romantisme dans ma jeunesse, et vous savez quoi ? Je n’ai pas été déçu. Pour les deux chansons, l’une était donc pour Henri, le chanteur de Shunatao, et l’autre une allusion à mes trois mois à Paris. Je vivais à Gambetta, et j’allais régulièrement déjeuner au Père Lachaise, y boire un peu de vin, traîner. J’ai entendu que Marcel Marceau y a été enterré récemment… C’était un de mes héros, vous savez ? Un performer incroyable… Bref, cette relation avec la France m’inspire beaucoup.Qu’est-ce qui vous a convaincu d’accepter ce projet de résidence au Ciel, le fait de pouvoir préparer au mieux votre longue tournée, l’échange avec le public, autre chose ?On y avait joué l’année passée, et il s’était vraiment passé quelque chose. Et la ville est magnifique. À la base, Le Ciel nous a approché avec cette idée de résidence. On s’est concerté et on s’est rapidement dit que c’était providentiel, au tout début de la tournée, avec la possibilité de rencontrer le public, de partager encore plus avec lui. On va passer trois jours complets ensemble, à ne se concentrer que sur notre musique et à sa transmission. Vous avez également un film en préparation…On y travaille, on est en plein développement. C’est un projet pour les télévisions, des segments de dix minutes, avec une grosse partie du travail qui sera consacrée à l’animation. Ce sera très visuel, pas très bavard, une sorte d’expérimentation électronique…Nervous Cabaretle 16 oct à 20h30, au CielAlbum : “Drop Drop“ (Naïve)

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