Originel gangsta

DA Portrait / Emblème mondial d’un hip-hop grand public souvent décrié par les puristes, Snoop Dogg tient cependant, n’en déplaise à ces derniers, une place primordiale dans l’évolution de cette culture. À défaut d’être forcément prestigieuse. Damien Grimbert

Replaçons le contexte. Après des débuts festifs et innovateurs dans les block party new-yorkaises de la fin des années 70, le hip-hop a gagné en ampleur médiatique dans les années 80 avec les premiers gros tubes du genre, mais également une radicalisation du propos, à la fois rageur et revendicatif, avec comme point culminant le groupe Public Enemy. À la fin des années 80 et au début des années 90, la donne est plus instable que jamais, et plusieurs tendances s’affrontent. New York reste sur ses acquis de berceau du genre. Au Sud, naît la Miami Bass, festive, dansante et uniquement axée autour du sexe. Des majors, émerge un rap poppy et ouvertement marketé avec MC Hammer, et Vanilla Ice. Mais c’est finalement la côte ouest, via Los Angeles, qui va rafler la mise, avec le nihilisme et l’ultra-violence du gangsta-rap de N.W.A (Niggaz With Attitude) ou Ice T. Rapidement, ce style met en ébullition non seulement les quartiers défavorisés, mais également la jeune bourgeoisie blanche fascinée par ces récits de massacres et de règlement de comptes sanglants entre gangs rivaux. Les grands pontes de l’industrie musicale prennent progressivement conscience de l’extraordinaire potentiel marchand de ce décloisonnement des auditeurs, mais restent cependant sceptiques devant l’agressivité des flows et des instrumentaux. Arrive alors un duo qui va changer à jamais la donne…G-FunkD’un côté Dr Dre, ancien de N.W.A passé à une carrière solo, et de l’autre Snoop Doggy Dogg, jeune rappeur charismatique de Long Beach, décidé à mettre un terme à sa carrière de dealer / membre de gang et à ses fréquents allers-retours en prison. À eux deux, ils inventent le G-Funk, pour Gangsta Funk. Un savant mélange du P-Funk de George Clinton et Funkadelic, et de rythmiques hip-hop, assorti à un flow laidback (en retrait), aéré et nonchalant. Une musique aussi facile d’accès que la pop, avec des lyrics terrassants de violence, de misogynie, et de provocation. L’entrée définitive du hip-hop en haut des hit-parades est en route, avec dans un premier temps l’album The Chronic de Dr Dre (sur lequel Snoop est déjà omniprésent), suivi en 1993 du fameux Doggy Style de Snoop Doggy Dogg, premier album hip-hop à rentrer directement en tête des charts dès sa sortie. Les singles cartonnent, l’album se vend à 4 millions d’exemplaires, et le buzz est planétaire, relayé aussi bien par les pétitions d’associations familiales outrées par les paroles, que par les démêlés judiciaires du rappeur au pseudo canin, accusé de complicité de meurtre. Évidemment, les kids en raffolent, mais cette street credibility, Snoop Dogg va la payer chèrement. Il est signé sur Death Row Records, label créé par Dr Dre et le sulfureux Suge Knight, gangster implacable dont le goût pour la violence et l’illicite finissent par écœurer le producteur, qui claque la porte en 1995, se brouillant au passage avec son poulain (pour plus de précisions, voir le documentaire Biggie & Tupac de Nick Broomfield). Puis c’est au tour d’un des meilleurs amis de Snoop, l’incandescent Tupac Shakur, de quitter le label avant d’être abattu de plusieurs balles quelques mois plus tard… Sentant sa vie en danger, le rappeur s’exile dans le Sud des Etats-Unis, sur le label No Limit de Master P, sur lequel il sortira 3 (médiocres) albums en forme de parenthèse.Show businessAu début des années 2000, Snoop Dogg se retrouve avec le champ libre. Bons ou mauvais, ses albums successifs cartonnent toujours dans les charts, sa tournée aux côtés d’Eminem, Dr Dre et Ice-Cube, le Up in Smoke Tour, est un succès massif, ses ennuis judiciaires sont en retrait… Quoi qu’il fasse, il a désormais atteint le statut d’icône, grâce à un savant mélange de talent, de charisme, et de sens de la pose. Peu importe que de nombreux rappeurs l’aient surpassé, qu’il fasse du surplace artistique, et que ses textes gangsta n’aient plus leur crédibilité d’antan, il est intouchable, pour le simple fait d’avoir été au centre d’un moment décisif de l’évolution de cette culture. Et en profite pour s’amuser, produisant des pseudos pornos avec Larry Flynt, faisant des apparitions dans une flopée de séries B, et multipliant les featurings à tour de bras. Au fil des années, les tendances se succèdent, se superposent, et Snoop les accueille avec bienveillance : les Neptunes et Timbaland révolutionnent la production sonore ? Il se lie d’amitié avec Pharell Williams qui lui fournit quelques années plus tard un Drop it like it’s hot d’anthologie. Le Dirty South du Sud des Etats-Unis rencontre un succès massif ? Snoop collabore avec Lil’Jon sur le crunky Step Yo Game Up. Pour autant, les fans de la première heure commencent à tirer la gueule. Si Snoop a transformé (pour le pire et le meilleur) l’appréhension du hip-hop par le grand public au début des années 90, c’est avant tout grâce à son fameux style West Coast, qui n’a plus guère droit de cité. L’occasion pour le rappeur, après plusieurs retours à la case judiciaire en 2006, de revenir à ses racines G-Funk, pour un nouvel album qui s’avère l’un de ses plus réussis, et dont on espère que la date de mercredi prochain sera un fidèle reflet.Snoop Dogg le 4 juillet au Palais des Sports

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