Pucc' fiction

ENTRETIEN / Tête d’affiche, aux côtés de ses Jazzbastards, du festival gratuit Mistral, Courant d’Airs, le rappeur surdoué Oxmo Puccino a bien voulu répondre à nos questions. Propos recueillis par Damien Grimbert

Quels souvenirs gardes-tu de tes années au sein de Time Bomb ?Time Bomb, c’est un label qui réunissait les artistes qui, pour moi, ont changé le cours du rap français, un groupe qui, à l’époque, avait amené un style qui n’existait pas. Aussi varié qu’il y avait de rappeurs dans le groupe, avec des personnages comme Pit Bacardi, les X-Men, les Lunatic (Ali et Booba), Diable rouge, et plein d’autres… Plus le temps passe, et plus je me dis que c’est une époque formidable que j’ai vécu, que c’est une chance, parce que c’est là que tout a vraiment commencé. Et je regrette un peu qu’il n’y ait pas eu de relève.Et de ton précédent album, Le Cactus de Sibérie ?Je suis content, mais c’est déjà du passé. Aujourd’hui, il y a beaucoup de morceaux du Cactus…, que je reprends sur scène avec plaisir, comme Mes fans, Arrivé sur terre par erreur, Black desperado, On danse pas… C’est des morceaux qui se révèlent avec le temps.Le jazz, c’est une passion de longue date, pour toi ?Pas vraiment, enfin si mais c’est pas une musique que je connais très bien. C’est une musique que j’ai découvert vers l’âge de 24/25 ans, que j’ai commencé à étudier à cette époque-là, mais qui est dans mon inconscient depuis toujours, parce que le jazz est une musique plus populaire qu’elle en a l’air. Dans les publicités, les jingles, les pubs télé, les grands classiques… Tout le monde écoute du jazz. Moi depuis l’âge de 25 ans, je creuse un peu, mais c’est un monde que je n’ai pas fini de découvrir, je suis encore un néophyte.Qu’est-ce qui t’a séduit dans cette musique ?La profondeur, la précision, les règles d’harmoniques qui font que le jazz est cette musique, qui peuvent être joyeuses, festives même, et en même temps très très sombres, avec des instruments majestueux comme la contrebasse, le violoncelle…À l’inverse, est-ce que ton combo, les Jazzbastards, avaient déjà une grosse culture hip-hop avant de te rencontrer ?Oui, dans l’ensemble, ils avaient une culture hip-hop. Notre batteur, par exemple, faisait partie d’un groupe de rap instrumental, mais comme c’était à une époque où c’était vraiment impensable, ça ne passait pas du tout, il était trop en avance. Et aujourd’hui d’ailleurs, c’est comme s’il prenait sa revanche.Quelles ont été tes sources d’influence pour créer l’univers du Lipopette Bar ?Le Lipopette, c’est un film audio inspiré de tout ce qui m’a touché en termes de cinéma, de littérature, et de musique. Donald Goines, Iceberg Slim, tous ces auteurs de la période blaxploitation. Et dans le cinéma, Magnolia, Short Cuts, mais aussi 24, Lost, toutes ces séries à rebondissements… Quand on rassemble tout ça avec une vie parisienne assez remplie, ça donne le Lipopette. Ce que j’essaie de faire, ma quête en quelque sorte, est de savoir retraduire tout ce que j’absorbe à ma manière. Je suis passionné de photo, de nouvelles technologies, de dessin, j’ai beaucoup de formes d’expression, et quelquefois je mélange, ce qui donne Lipopette Bar. C’est pour ça que ce n’est pas un album de rap classique, parce que justement la diction, l’écriture ne s’apparentent pas aux codes du hip-hop proprement dit, ça s’approche un peu du théâtre, des dialogues de films.Les séries télé t’ont influencé, en termes de narration ?Les séries télé, c’est technique. Elles sont bien faites parce qu’elles ont peu de temps pour accrocher le public, et utilisent donc tous les artifices du cinéma mais multiplié par cinq, ce qui donne des sortes de films en accéléré. Comme une chanson est trop courte pour raconter une histoire, je suis moi aussi obligé de suivre des stratégies narratives, tout en respectant le peu de temps qui m’est imparti, trois couplets, trois minutes de piste, pour raconter une histoire de bout en bout. Et heureusement, dans Lipopette Bar, j’ai utilisé une sorte de technique de suspens qui fait que l’histoire ne se termine pas complètement, elle se termine quand commence un autre morceau.Comment évolue ton groupe sur scène ?C’est un truc de fou. Plus on fait des scènes, et plus on maîtrise les shows. Il y a des arrangements qui continuent de se créer, je change quelques textes légèrement pour les rendre plus souples, on change la vitesse des morceaux, on rajoute le jeu de scène, la gestuelle change de scène en scène parce qu’on fait des briefings avant et après chaque concert. Pendant les balances, on répète de nouveaux morceaux, il y a une évolution constante qui fait que le public revient. Et ça c’est quelque chose qui m’était peu arrivé. En fait, ce qu’on essaie de faire, c’est un spectacle. D’ailleurs, on s’est tellement excité, qu’au début, on était parti avec le quatuor de base, et puis on avait rajouté des instruments additionnels sur quelques dates, mais au final, on trouvait que l’énergie était trop répartie sur plusieurs musiciens. Aujourd’hui, le spectacle commence à être bien bien rôdé.Que penses-tu des différentes évolutions du hip-hop en 2007 ? Je me sens beaucoup moins concerné. Parce que je prends de l’âge, je change d’intérêts. J’ai une pratique qui, ajoutée au fait que les choses n’ont pas tellement avancé depuis mes débuts, fait que je suis obligé d’évoluer dans une certaine direction qui, j’espère, sera la seule qui existera. À l’image de Lipopette Bar, qui ne ressemble à rien du tout, justement parce qu’aujourd’hui le hip-hop devient uniforme. Avec la mondialisation, tout le monde avance à sa manière dans le même sens. Il y a des pays où le hip-hop est encore nouveau, donc ils reprennent les choses à la base, mais les pays qui ont emmené le mouvement où il est n’avancent plus. Moi, le dirty south, tout ce qu’on appelle la new school, ça ne me touche pas… Il n’y a plus de grands lyricistes, plus de grands producteurs… D’ailleurs, les plus grands d’entre eux se sont tournés vers les musiques populaires comme DJ Premier qui travaille avec Christine Aguilera, Timbaland qui a relancé Nelly Furtado et qui travaille avec Elton John, et je ne parle même pas des Pharrell et compagnie… Ensuite, les productions de Timbaland et compagnie, elles me plaisent, forcément, mais le reste ne me fait pas tellement vibrer.Comment envisages-tu les featurings ?Ça ne fonctionne que par vibrations, soit l’artiste me contacte et j’aime bien ce qu’il fait, et ça peut aller si je suis dans l’ambiance, soit … C’est souvent le hasard, c’est rarement programmé. Au début je faisais beaucoup de participations avec d’autres artistes, parce que je commençais, et que je me devais de découvrir, de m’exercer. Et puis être sollicité à ses débuts, c’est une chance que peu peuvent avoir, surtout aujourd’hui, ça ne se fait plus. Ensuite le problème, c’est qu’à force d’en faire, on peut se banaliser, c’est pour ça qu’avec le temps, je me singularise, je ne travaille que pour de grandes occasions. Parce que le problème, c’est que souvent, les artistes avec qui tu partages un projet n’ont pas le même investissement que toi, on est souvent dépité, ce qui fait que je préfère souvent ne même pas me lancer dans une aventure de peur d être déçu.Tu vas bientôt sortir un nouveau street-CD avec DJ Cream, La Réconciliation…Ça sortira fin août, avec beaucoup d’inédits, des productions de nous deux, ça va… détonner. Parce qu’au niveau de la production, ça ressemble plus à ce que je faisais avant Lipopette Bar, ça fera taire ceux qui pensent que j’ai complètement viré de bord par manque d’idées ou de jugeote, parce que ma passion reste ma passion. Donc je sors ma mixtape pour me faire plaisir, pour pouvoir mettre des morceaux que je ne sortirais pas en album, pour le plaisir de faire autre chose avec mon pote, et enfin présenter les saveurs du prochain album, quelques idées…Festival Mistral, Courant d’Airs avec Oxmo Puccino & The Jazzbastards, le 2 juin au Stade Bachelard

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