La passion du Christian

portrait / Pilier indéboulonnable d’une nuit grenobloise dont il est toujours prêt à pardonner les manquements, Christian est un infatigable hédoniste, dans le sens le plus festif du terme. Portrait d’une figure incontournable de toute bonne soirée qui se respecte. FC

Si tant est que vous vous aventuriez dans le domaine lunatique des nuits locales, vous l’avez fatalement croisé. En bon grenoblois pure souche et fêtard invétéré, Christian écume depuis plus de 20 ans tous les lieux de débauche de notre belle agglo et même au-delà. Son enthousiasme, naturel chez lui mais presque frondeur à notre morne époque, peut même servir de baromètre infaillible pour savoir si l’on passe une bonne soirée : s’il se démène sur le dancefloor, c’est que l’ambiance est idéale ; s’il tombe la veste, vous êtes au sein d’une party mémorable. Mais s’il se contente de squatter le bar, l’air absent, cherchant le réconfort dans un verre à moitié vide, c’est que quelque chose ne va pas, que l’atmosphère est irrémédiablement plombée. Loin de se décourager en pareille circonstance, Christian fera tout de même son possible pour devenir l’ambiance et agiter à lui seul un lieu frappé de sclérose tardive. Mais en ces temps délétères, même les figures tutélaires les plus acharnées ne suffisent souvent plus à zébrer la nuit grenobloise d’éclairs lumineux. Quel est son secret, me demandez-vous, le sourire sardonique en coin : quitte à vous décevoir, aucun stimulant (si ce n’est un taux d’alcoolémie savamment entretenu dans les limites du raisonnable), juste un style de vie étroitement lié à la faune nocturne, dont il se construit les bases pratiques à une époque que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître.GenèseRetracer le parcours de Christian, c’est un peu revisiter l’évolution de la nuit grenobloise sous un jour forcément nostalgique, sans céder pour autant à l’amertume définitive du “c’était mieux avant“. Remontons au début des années 80 : son bac en poche, Christian décide que c’en est assez des longues heures d’études et prend sa vie professionnelle en main. Il tâte un court moment de l’apprentissage pour devenir cuisinier, mais opte finalement pour une autre option, celle qui allait l’occuper pour les deux décennies à venir. Il honore ses premiers services au restaurant Au Petit Paris (toujours présent cours Jean Jaurès), fait un détour par une pizzéria désormais disparue de l’avenue Alsace-Lorraine, avant de se fixer pendant 17 ans (!) au restaurant El Tex Mex de l’Esplanade. Pour lui, serveur est longtemps resté le boulot idéal : il entretient le contact humain permanent dont il a besoin, rencontre constamment de nouvelles têtes, bref, chaque jour amène son lot de surprises pour cet humaniste indécrottable. Mais surtout, il s’agit du taf parfait pour assouvir sa véritable passion des virées nocturnes quasi quotidiennes. Le rythme est alors le suivant : fin du service vers une heure du matin, sortie jusqu’à cinq heures, et reprise du boulot aux alentours de 10h30. Avec ses collègues et camarades, il écume les bars et autres boîtes sauvagement hétéroclites de Grenoble et de son agglomération.ÉpîtresOn dira ce qu’on voudra des années 80, mais d’après notre interlocuteur, les Grenoblois savaient s’y amuser. La vingtaine flamboyante, Christian se fait l’hôte régulier du Starnight, de la Rhumerie meylanaise (version plus intime du Phoenix, avant que ses proprios ne l’agrandissent et ne l’ouvrent à un public plus large) où il glane quelques-uns de ses meilleurs souvenirs ; sans oublier les boîtes gay, plus nombreuses et chaleureuses à l’époque, selon ses dires. Sa préférence allait alors au Flamand Rose, au Lamartine (devenu aujourd’hui le Coco Loco), et l’actuel George V, orné en son temps du patronyme Sabriniesque du Boys. Christian garde un souvenir particulièrement ému de ces parcours qu’on ne qualifiait pas encore de combattants. Le libéralisme sauvage et la précarité n’étaient pas encore sur toutes les lèvres, l’insouciance régnait en maître, le milieu gay semblait moins cloisonné, la fête était dissociable des produits psychotropes et des plans cul à l’emporte-pièce, le culte du paraître n’obnubilait que très peu de consciences troublées, et la nuit appartenait encore à tout un chacun. Ceci dit, les années passent et Christian ne change en rien son rythme de vie. Ses virées noctambules font partie intégrante de son vécu, il leur insuffle sa science de plus en plus maîtrisée du profit maximal de chaque instant.ApocalypseLes années 90 apportent leur lot de changements irréparables. Les compagnons de soirées de Christian se rangent peu à peu, changent de boulot, se marient, font des gosses. Les lieux de sorties, ces petites boîtes que notre homme affectionne tant, ferment les unes après les autres pour céder la place à leur version “multiplexe“ et décentralisée. Le temps des endroits à l’atmosphère limite familiale est peu à peu révolu, cédant la place à des épanchements anonymes sur des dancefloors plus impersonnels ; les oiseaux de nuit changent irrémédiablement de facettes, mais pas Christian. Vétéran des nuits grenobloises, il conserve ses inclinations festives intactes, au risque de forcer parfois le décalage avec des jeunes clubbers bien trop sages à son goût. Idem pour le milieu de la nuit gay, désormais trop fermé à ses yeux, voire peu engageant pour les jeunes homos voulant juste se divertir. Très loin d’être désespéré pour autant, il poursuit ses allers et venues dans moult établissements, réduisant juste sa cadence de sorties de moitié par rapport à il y a vingt ans (ce qui fait tout de même trois à quatre soirées par semaine…). On peut le croiser très régulièrement au Vertigo, au Liquid, au System, au George V, à la Luna, au Dotty Night, à La Choue, dans les grandes boîtes de l’agglo… Avec une préférence marquée pour Le Château, à Aix-les-Bains, dont il rêverait de trouver l’équivalent sur Grenoble. En attendant de venir visiter son futur resto, dont l’élaboration s’est accélérée après sa crise de la quarantaine (précisons qu’il fait quelques services au restaurant Le Mix), on nous pardonnera cette sentence définitive : Christian n’est pas qu’un oiseau de nuit, Christian EST la nuit.

pour aller plus loin

vous serez sans doute intéressé par...

Mardi 17 octobre 2023 L'édito du Petit Bulletin n°1221 du 18 octobre 2023.
Mercredi 6 septembre 2023 C’est littéralement un boulevard qui s’offre au cinéma hexagonal en cette rentrée. Stimulé par un été idyllique dans les salles, renforcé par les très bons débuts de la Palme d’Or "Anatomie d’une chute" et sans doute favorisé par la grève affectant...
Lundi 24 avril 2023 Le secteur culturel grenoblois s’empare, depuis peu mais à bras-le-corps, du sujet épineux de la transition écologique. Mobilité des publics, avion ou pas avion pour les tournées des artistes, viande ou pas viande au catering, bières locales ou pas...
Lundi 13 février 2023 Dans la catégorie humoriste nonchalant, on demande le pas encore trentenaire Paul Mirabel, drôle de Zèbre (c’est le nom de son spectacle) qui cartonne depuis (...)
Lundi 16 janvier 2023 Trois soirées électro à Grenoble pour faire bouger tes nuits : Ed Isar le 24 janvier à la Bobine, Umwelt le 27 janvier à l'Ampérage et une Semantica Records night le 28 janvier à la Belle Électrique.

restez informés !

entrez votre adresse mail pour vous abonner à la newsletter

En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies destinés au fonctionnement du site internet. Plus d'informations sur notre politique de confidentialité. X