La solitude du joueur de techno

Musique électro / Le deuxième album d’Agoria confirme l’exigence d’un musicien brillant, éclectique et qu’on découvre en plus écorché vif. Rencontre. Propos recueillis par Christophe Chabert

Il paraît que ton album crée une micro-polémique…Agoria : C’est surprenant… Dans le Trax de ce mois-ci, ils font la couv’, super ! Magnifique chronique d’album, tout ça… Et à côté, t’as un encadré : «Agoriaphobe». Dans l’interview, je disais en gros : «La scène minimale m’emmerde, parce qu’il y a plein de trucs qui se ressemblent». Pourtant, je suis un fan de musique minimaliste, y a un tas de choses que j’adore, Maurizio, David Chanel, le premier James Holden… Mais aujourd’hui, y en a qui se branlent en mettant un pauvre beat et une basse qui sonne pas.C’est le problème du minimalisme partout, en art, au théâtre, au cinéma… Enfin, sa dérive…Exactement. On est arrivé, à force d’épurer, au syndrome du «moins t’en mets, mieux c’est». Ça ne marche que quand il y a une émotion, quand le morceau t’emporte… Je trouve dommage qu’aujourd’hui les gens s’enferment dans une chapelle et n’aillent pas plus loin. Je suis intègre, puriste, mais pas autiste. Voilà d’où vient la polémique : l’album n’est pas dans l’air du temps, il est assez à contre-courant…De la musique en général ou de la musique électronique ?De la musique électronique. De la musique en général, j’en sais rien, je n’achète pas tous les albums, je n’achète pas Beyoncé et Justin Timberlake… Enfin, si, Justin Timberlake, je l’ai acheté mais j’étais vachement déçu. Bref, les gens attendaient un album techno pur et dur, et ils critiquent parce que ce n’est pas ça.Le premier album n’était pas de la techno pure et dure non plus…Mais là, sous prétexte que j’ai mis pleins de choses différentes, on m’accuse de n’avoir pas fait un album personnel. Alors que justement, je crois que c’est ça qui le rend personnel…Déjà dans Blossom, tu embrassais un spectre très large de la culture électro…Oui, parce que j’ai beaucoup de facettes. Quand quelqu’un ne me connaît pas, il peut trouver que ça fait compilation. Je me nourris de toutes les rencontres, et c’est ce qui me passionne. Discuter avec Scalde pendant des heures de comment doit sonner une caisse claire pour que ce soit bien, voilà ce qui me plait. Lui est complètement pop, moi je viens de l’univers club, j’ai aussi travaillé avec Francesco Tristano qui est un pianiste, avec Peter Murphy de Bauhaus et sa voix d’outre tombe à la Bowie : tout ça, c’est ce qui me fait plaisir. Peut-être que je me fais trop plaisir, mais je ne vais pas m’arrêter de faire ce mélange de genres.Ce qui frappe à l’écoute de l’album, et c’est peut-être une raison du malentendu, c’est que c’est très peu dancefloor tout ça…Oui, encore que… Il n’est pas dancefloor au sens où il n’y a pas de la techno pour faire lever les bras. Mais quand je joue certains morceaux, ça fonctionne. Évidemment, j’en avais fait d’autres, mais je me suis demandé à quoi ça servait de mettre des morceaux qui auront la même utilité, le même aspect. Quel est l’intérêt ? Cela dit, j’ai pas mis d’autres trucs, comme des morceaux avec David Walter, un chanteur créole. En faisant le tracklisting, je ne trouvais pas la cohérence entre ces morceaux-là et le reste. Ça partait dans une autre direction, et on se perdait.Même les morceaux ouvertement techno du disque ont quelque chose de malade, de perturbé, de torturé…Ben ouais. Evidemment que je suis un tourmenté. Ceux qui vivent avec moi le voit très bien que je ne suis jamais serein, toujours angoissé, hypocondriaque… Mais c’est ce qui me fait faire de la musique. Du coup, l’album est un peu mélancolique, pour pas dire carrément sombre. Les trois dernières années de ma vie, j’ai fait le tour du monde, j’ai pris beaucoup de plaisir à jouer sur des scènes énormes, c’est parfois jouissif, parfois un peu moins si tu n’es pas en forme, si le public ne réagit pas. Mais je rentrais chez moi le lundi après quatre dates sur les rotules. Donc forcément, mardi, quand tu dois composer un morceau, tu ne vas pas aller vers du dancefloor, mais plutôt dans l’introspection. Ça vient de là aussi…Le côté festif, on dirait que tu le gardes pour les maxis : Les Beaux jours, sortis entre Blossom et The Green Armchair, était une bombe pour clubs…C’est exactement ça. Un album ne doit pas se limiter à l’efficacité d’un maxi. L’album doit représenter un artiste, on adhère ou pas à sa personnalité, mais le portrait doit être fidèle. Je me suis longtemps demandé si j’allais mettre Les beaux jours sur l’album, mais finalement il n’avait pas sa place.Ce nouvel album laisse encore plus d’importance au chant et aux voix…Mais pas dans le format pop classique, à part le premier morceau qui est très couplet/refrain. Mais Edenbridge, avec Peter Murphy, dure 8 minutes, et on est vraiment dans une structure propre à l’électro ; pareil pour celui avec Neneh Cherry…Pas complètement d’accord sur celui-là…Oui, peut-être… Je ne l’avais pas conçu comme ça. C’était un instrumental à la base, pas mal mais qui n’apportait pas grand chose. Je me suis dit que j’allais ajouter une voix, et Neneh Cherry voulait que je réalise un remix pour son nouveau groupe, Cirkus. Je lui ai envoyé le morceau, histoire qu’on fasse chacun un truc pour l’autre, mais ce n’était pas dans l’idée d’une chanson couplet/refrain. Il faudrait que je le réécoute à froid, je m’en souviens plus très bien.C’est étonnant de voir sur l’album des pointures de ce niveau-là au même niveau que quelqu’un comme Scalde, qu’on connaît bien à Lyon, mais qui débute nationalement…Dans l’autre sens, on pourrait trouver étonnant que Neneh Cherry vienne chanter sur un album d’Agoria…Mais chez toi, on a l’impression que c’est comme ça que ça fonctionne : de façon assez généreuse, qui que l’on soit, où que l’on se trouve, on est logé à la même enseigne…Si ça se passait comme ça, ça serait génial ! Ça fonctionne ou pas : on rencontre quelqu’un, on voit tout de suite si on a des affinités ou non. Mais c’est vrai que je suis un mécène hors-pair, et que je fais beaucoup pour Scalde, d’ailleurs, je vais demander un pourcentage sur la vente de ses albums (rires). Mais je suis content si ça peut apporter un éclairage sur le travail d’un pote. C’est comme ça que ça s’est passé pour moi au début : Laurent Garnier m’avait invité à jouer avec lui, au Brésil notamment, il parlait de moi en interview. C’est pas du donnant-donnant, c’est juste l’envie de partager ses coups de cœur. Cela dit, j’ai bien fait chier Scalde sur l’enregistrement. On est tous les deux très méticuleux…L’avant-dernier titre, Les Violons ivres, est un morceau d’un lyrisme étonnant, une ouverture très émouvante dans l’album…Au départ, les violons étaient synthétiques. J’avais fait mes accords, mais je me disais qu’il fallait que je me trouve un chouette quatuor. J’en ai parlé à Scalde qui m’a mis en contact avec des gens, mais bon… Puis j’ai fait écouter le morceau à Francesco, qui l’a trouvé mortel, il m’a proposé de réarranger les violons et de me l’envoyer. Ensuite on est allé en studio avec alto, premier, deuxième violons et violoncelle… Ça m’a coûté la peau du cul, mais je suis hyper-content du résultat.Tes parents viennent du classique, c’est ça…Ma mère surtout, c’est peut-être dans les gènes et ça ressort ! Mon père était très ouvert sur tous les styles de musique, Varèse, les Talking Heads, de la musique africaine… Le fait qu’ils aiment autant de choses m’a bercé. Les violons, ce lyrisme, c’est vrai que j’adore. Jouer ça en fin de soirée, c’est vraiment magnifique… Tu regardes les yeux des gens et t’es super-content d’avoir fait cette chanson.Ça a été dur pour toi de «chanter» sur le dernier morceau du disque, même si on est plutôt dans une sorte de talk-over…Ouais, ouais. Enfin, dur… Au départ, ce n’était pas fait pour l’album. Je rentrais de New-York, j’étais parti avec une nana et je me suis aperçu là-bas que c’était vraiment pas la bonne personne. Quand j’ai écrit ce morceau, j’étais pas bien, je l’ai enregistré entre 8 et 10 heures du mat’ après trois whiskys, c’est pour ça que j’ai cette voix éraillée. Mais au départ, je l’ai fait pour elle, ça lui était destiné. Au bout d’un moment, je l’ai fait écouter à mes potes qui ont trouvé ça pas mal. Alex, qui travaille avec moi, m’a dit de le mettre sur l’album. Je pensais en faire un morceau caché car j’assumais pas trop. Si un jour je fais un live, ce qui risque d’arriver, il faudra que je le chante sur scène, alors… C’est un morceau que je n’écoute pas, mais je suis content qu’il soit sur l’album.Cet album confirme que tu es une personnalité atypique dans la musique électronique. Mais en entendant ce morceau, je me suis dit qu’il y avait un rapprochement à faire avec Mirwais et son album Production, sur lequel il reprenait Cargo Culte de Gainsbourg, avec une voix d’outre-tombe aussi…J’ai pas vraiment bien écouté l’album, deux ou trois fois peut-être, il y avait eu beaucoup trop de battage à l’époque. Il est bien ?Agoria + OxiaLe 3 novembre, au Vertigo«The Green Armchair» (Different recordings/PIAS)

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