Sa Majesté Rufus

Entretien / Vu la réputation de diva que Rufus Wainwright se coltine, on s’était préparé mentalement à un clash. Formidable surprise : on eut affaire à un garçon adorable et ouvert. Propos recueillis par François Cau

Release the Stars est le premier de vos albums que vous produisez seul, vous vouliez restituer exactement le son que vous aviez en tête. En êtes-vous totalement satisfait ?Rufus Wainwright : Vous savez, si je répondais oui, je n’aurais plus qu’à démissionner (rires), et prendre ma retraite dans mon petit appartement new yorkais, à manger des plats chinois bon marché… Mais je dirais que cet album est le plus proche de mes aspirations. Je ne crois pas qu’il soit possible pour un chanteur ou un producteur de réaliser tous ses objectifs, il y a trop de forces contraires qui rentrent en ligne de compte. Vous ressentez de la frustration en écoutant vos albums précédents ?Je dirais que toute ma discographie est une bataille. Une bataille que j’ai remportée finalement, mais rien que mon premier album a pris trois ans à se faire. Je travaillais avec ce producteur très difficile, Jon Brion, qui est un grand musicien mais un collaborateur exténuant. C’est un homme brillant, mais on est passé par monts et par vaux pour finir cet album. Pour ce qui est du second disque, il a été fait avec Pierre Marchand, quelqu’un de brillant et un peu prima dona sur les bords également, mais beaucoup plus sensible musicalement. Il n’a jamais envisagé le travail comme un jeu de pouvoir, mais il y a tout de même eu beaucoup de débats. Puis il y a eu Marius De Vries, mon troisième producteur, avec qui ce fut plus facile, même si j’ai dû camper fermement sur mes positions.Pour faire un peu de psychanalyse de comptoir, vous répétiez souvent en interview que vous ne saviez pas ce qu’est l’amour. Pendant l’enregistrement de Release the Stars, vous dites avoir éprouvé énormément de peur et de désespoir à cause de la santé de votre mère. Est-ce que cette expérience vous a reconnecté avec vos émotions ?L’aspect le plus extraordinaire de cette histoire fut de réaliser qu’on souffre beaucoup plus quand on n’est pas touché directement, quand ça affecte quelqu’un qu’on aime. Pendant la production de Want One et de Want Two, j’ai eu mes propres problèmes à gérer avec la drogue, la peur de vieillir et la dépression. C’était une période sombre, je pensais à l’époque que c’était la chose la plus dramatique qui puisse m’arriver. Et puis la vie s’est chargée de me remettre les pendules à l’heure, elle m’a tapoté sur l’épaule en me disant “regarde, ta mère est en danger“, et c’était beaucoup plus puissant et déprimant que si ça me touchait personnellement. Donc oui, ça m’a fortement influencé, ça m’a fait prendre conscience à quel point la vie est courte et précieuse, qu’il faut être présent pour ceux que tu aimes, profiter de chaque instant. J’ai l’impression que c’est le disque qui restitue le mieux votre charisme sur scène, ce mélange de fragilité intense et de magnétisme sexuel agressif… Êtes-vous d’accord ?Oh oui, avec grand plaisir, j’adore le magnétisme sexuel (rires)… J’ai toujours puissamment ressenti que l’élément le plus important de ma musique et de mes spectacles était de montrer au public ma vulnérabilité. Et je crois que l’essence de toute vulnérabilité est à la fois séduisante émotionnellement et sexuellement. Peut-être que si je me concentrais plus sur mon apparence ce serait une autre histoire, mais dans mon cas, plus je me dévoile, mieux c’est.C’est aussi votre album le plus lyrique…Oui, je suis un grand fou romantique. J’ai appris à être de moins en moins effrayé par la puissance des chœurs, ou par la création de paysages sonores dramatiques, en termes musicaux. Je n’ai pas laissé de côté mes origines opératiques, je les souligne même de plus en plus pour trouver l’inspiration. La plupart des textes de Release the Stars prennent souvent l’apparence de conversations à sens unique. C’est une façon d’éviter de parler de vous ?Mes autres albums étaient très personnels, comme si je plongeais dans ma propre psyché, que je la sondais. Ce qui est drôle avec Release the Stars, c’est qu’en quelque sorte, je suis beaucoup plus direct dans mes affirmations, étant donné que j’ai pour habitude d’être extrêmement franc quand je m’adresse à quelqu’un. Je crois que ça donne à l’auditeur une meilleure idée de qui je suis, il peut se faire sa propre opinion. Je n’essaie pas de m’adonner à la confession, de dévoiler ma philosophie intérieure ou mon amour pour moi-même. On peut m’observer dans mes interactions avec d’autres personnes et se faire son propre avis. C’est un vrai soulagement d’entendre ça dans une chanson.À propos de Sanssouci, vous avez déclaré que la chanson parle du fait d’observer le succès de derrière une fenêtre, de trouver ça génial mais une fois qu’on ouvre la porte, c’est un désastre. Vous regardez juste en arrière, ou faut-il y voir une forme de nostalgie ?Pour moi ce n’est pas tant à propos du succès que de l’hédonisme. À propos de ce fantasme d’un souffle d’ignorance - d’ignorance sexuelle en fait, où vous pouvez faire ce que vous voulez, quand vous voulez, à qui vous voulez. J’ai fait ça à une époque de ma vie, c’était merveilleux mais ça devait cesser. C’est une chose à laquelle je suis toujours attiré, j’en rêve, j’adorerais y retourner, mais dès que je m’y laisse aller, j’en ressens le côté pourri d’une certaine façon.Vous pouvez m’en dire plus sur votre projet d’opéra ?J’en ai encore pour une bonne année pour finir de l’écrire, et peut-être deux ans supplémentaires pour le transposer sur scène, le produire, engager les artistes, l’orchestrer. Je suis à peu près sûr que ça se fera en France. Ça s’appellera Prima Dona, ce sera l’histoire d’une diva mais pas une en particulier – certains ont affirmé qu’il s’agirait de Maria Callas, mais non, ça s’inspire un peu d’elle mais aussi d’autres personnes. Ce sera très intime, sans grands chœurs, sans action grandiloquente, personne ne sautera par la fenêtre.Rufus Wainwrightjeu 22 nov à 19h30, au Grand Théâtre de la MC2

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