Gonzo en pop majeure

Trublion hip hop, crooner irrésistible, showman barré, virtuose du piano, producteur de génie, Gonzales nous revient au sortir de quatre ans d’absence discographique avec “Soft Power“, virage pop on ne peut plus logique dans son œuvre. Retour sur la carrière hallucinée d’un artiste hors norme. François Cau

Je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans écument de rage de ne pas avoir connu. Pour l’un de ses derniers concerts, la mythique salle de l’Entre-Pot accueille un dénommé Chilly Gonzales, canadien d’origine, berlinois d’adoption, déjà auteur de deux albums de hip hop mutant. Gonzales Über Alles et The Entertainist avaient révélé un MC volcanique et un compositeur hors pair, Presidential Suite confirme les qualités musicales du bonhomme, son érudition sonore mâtinée d’un second degré maîtrisé avec grâce, ses talents mélodiques proprement imparables atteignant ici des sommets (en particulier sur les monstrueux So-called party over there, Salieri serenade, Dans tes yeux, et bien sûr l’indispensable Take me to Broadway). Bien aguiché par sa dernière galette, on part au concert confiant, sans se douter de la claque monumentale que l’artiste va nous asséner. Flanqué de sa comparse scénique d’alors, une certaine Feist, Gonzales offre à son public un spectacle total, enchaîne les envolées rap et les “pauses crooner“, change dix fois de costume, dispense savamment les interludes hilarants, bouleverse l’auditoire dès qu’il se met au piano. Son instrument de prédilection, la base primordiale de chacun de ses morceaux, la matrice de sa virtuosité et de son art de la composition – car si l’homme manie la pose avec dextérité (il s’est un moment autoproclamé “Roi de l’Underground“), s’il n’aime rien tant qu’une saine provocation pour réveiller le landernau artistique, il n’en demeure pas moins un authentique génie musical. Les différentes évolutions de son parcours ne manqueront d’ailleurs pas de le rappeler…

Les matins de Paris

En 2003, Gonzales sonne le glas de sa prime carrière de “MC Entertainist“ avec l’album Z, composé de reprises majoritairement down tempo de ses trois albums précédents. Il y est entouré de sa clique d’amis musiciens fidèles (Taylor Savvy, Mocky, Feist ou encore Peaches), qui s’amusent autant que lui à donner un cachet inédit, groovy, suave et éthéré, à ses compos - Gonzales ne tourne pas définitivement le dos au hip hop pour autant, il apportera sa pierre au projet Puppetmastaz, ces marionnettes animalières cradingues versant dans un rap électro trash des plus recommandables. Il s’installe dans la capitale française, où il finit par mener deux carrières de front. D’un côté, l’interprète entame une série de récitals piano à travers le pays (voire au-delà), d’inénarrables déclinaisons de son Solo Piano (des compositions orientées musique de chambre, faisant discrètement du pied à Erik Satie – «Mais un Satie qui aurait fumé un peu trop d’herbe» nous déclarait-il à l’époque). Costume cintré, dispositif vidéo filmant les caresses des doigts de l’artiste sur les touches de son piano, ambiance simili guindée que le sieur Gonzo se fait un plaisir d’exploser avec son art coutumier de la digression live. Cerise sur le gâteau, ses performances se concluaient par un medley lyrique où il juxtaposait ses compositions à celles de Britney Spears ou de Lionel Ritchie, puis par une master class improvisée avec un volontaire du public – ultimes démonstrations de la générosité irréfutable du garçon. Parallèlement, il débute une prolifique carrière de producteur / arrangeur, souvent en binôme avec son complice Renaud Letang (rencontré pour la production de Z, avec qui il forme le collectif VV). Avec les deux albums de Feist (Let it die et The Reminder, pour mémoire), le Rendez-vous de Jane Birkin, Party de Plaisir de Teki Latex, l’Inventaire de Christophe Willem, mais surtout l’orgiaque Robots après tout du gigantesque Katerine.

Caste power

Comment transcender à un tel palmarès ? Comment ne pas céder à la tentation de se reposer sur ses lauriers ? Comment assumer le passage du Roi de l’Underground à celui du Mainstream ? Tout simplement en restant soi-même. Gonzales, en définitive, fait aujourd’hui encore ce qu’il a toujours fait : arriver à s’imposer dans un univers sonore balisé, et y apporter son grain de folie, sa distance toujours déférente du genre abordé pour mieux le remettre en question. Installé au plus haut sommet de l’establishment musical hexagonal, il en a parfaitement assimilé tous les codes, les références, et s’est pris d’envie d’en livrer sa propre vision, de rendre son tribut aux hérauts emblématiques de son identité artistique. Si Soft Power surprend à la première écoute, la sensation est au finish la même que pour toutes ses précédentes livraisons discographiques : on est de prime abord légèrement rebuté par une apparente désinvolture, un semblant de fatuité qui brouille l’écoute au détriment du plaisir manifeste que ces morceaux procurent. Mais sans s’en rendre compte, on met l’album en boucle, on revient sur ses titres préférés une dizaine de fois d’affilée, on tape du pied en cadence. Et au-delà de toutes nos réserves, on sait pertinemment que le bonhomme va une nouvelle fois nous en offrir une version live dantesque, et qu’on quittera une nouvelle fois la salle avec un sourire jusqu’aux oreilles, et la larme à l’œil à la pensée de devoir attendre sa prochaine représentation dans le coin.

Gonzales et le Together ensemble. Jeu 27 mars à 20h30, à la Maison de la Musique (Meylan)
Album : “Soft Power“ (Mercury Records), sortie le 7 avril

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