Dessine-moi un Nubuck

Pour fêter dignement l’arrivée prochaine de leur nouvel opus, les Frères Nubuck viennent honorer EVE d’un concert de courtoisie. Retour sur le parcours d’un groupe drôle, émouvant, attachant, agaçant, fragile, un peu fumiste sur les bords, et, finalement, plutôt beau. Comme la vie, quoi. François Cau

Pour avoir un bon aperçu du style des Frères Nubuck, il faut voir le groupe sur scène. Arborant des tenues pas possibles (imaginez les Deschiens se préparant à passer l’audition de La Nouvelle Star), les musiciens assurent avec un discret panache les rythmiques mélodiques des ballades et autres comptines pop composant le répertoire du groupe. Rémy Chante, caution intimiste de la formation, fredonne ses textes poétiques comme s’il les chuchotait à l’oreille d’une ex qui l’aurait cruellement éconduit. Chris Gontard, front man hystérique affublé d’une minerve et de lunettes de soleil d’un autre temps, se donne quant à lui corps et âme au jeu du cabotinage outré. Ceux qui trouvaient les gesticulations épileptiques du leader de Joy Division un peu too much vomissent ici des crucifix : le chanteur appuie chaque break de mouvements corporels presque toujours à contretemps, donne des coups imaginaires à des ennemis tout aussi imaginaires, s’allonge sur la scène, harangue le public avec une ironie mordante, comme pour fuir un premier degré qui le terrifierait. Et pourtant, une fois cette mise en scène digérée, l’on commence à faire plus attention à des paroles plus vicieuses qu’elles n’y paraissent, à des tournures de phrases entêtantes, à des atmosphères musicales envoûtantes.

Fait maison

Comme l’indique fièrement le nom de leur label (Sorry But Home Recording Records), la genèse musicale des Frères Nubuck s’est opérée dans la bricole. La légende qui court et ricoche sur les murs et toits de l’agglomération veut que tout ait commencé en 1998 («un beau jour», paraît-il), lorsque Chris Gontard et Rémy Chante tombent sur une guitare classique et un poste K7 au dépôt-vente de leur quartier. Avec un acharnement autodidacte caractérisant la plupart des artistes psychopathes, le duo se fait la main, écrit des chansons à tour de bras, fait du pied aux détournements poético-barrés de tout un pan de la contre-culture sonore (de Jonathan Richman à François de Roubaix, pour “résumer“), peaufine ce qui deviendra une authentique identité musicale : un mélange de ritournelles piégées, de lyrics tour à tour diaphanes et rentre-dedans, de système D musical tous azimuts assumant son bordel apparent pour mieux le déconstruire avec une émotion à fleur de peau. Leur premier album, Chez les nudistes (2004), se fait le reflet de cet art de la bidouille, de cette forme détonante d’amateurisme clinquant. La somme de ces délires lo-fi convainc, on passe rapidement sur certains morceaux, on en écoute d’autres en boucle (le magnifique J.T. Leroy en particulier), avant de découvrir leur provoquant prolongement scénique décrit plus haut.

Trouver sa voix

Deux ans plus tard, Chaque vivant est un mort en puissance marque le coup, recèle quelques perles précieuses en équilibre instable (l’imparable Jésus t’aime, les savoureux Ronald est seul et La nuit est-elle de gauche ?). Le groupe s’est étoffé des apports respectifs de Jean-Louis Maybe (clavier et saxophone), Nico la Castagne (violoncelle), Mini Jack (batterie) et de Claude Van De Voelt (basse), enchaîne les dates avec abnégation, assume avec fierté son décalage comme sa fragilité. Deux éléments essentiels dans la bonne appréhension des compositions des Frères Nubuck, tant ils restent prégnants dans chaque morceau : les textes ont beau être toujours aussi délicieusement foutraques ou tout simplement touchants, ils sont systématiquement livrés sur une corde raide des plus casse-gueule, via des flows cultivant leurs incertitudes. Sans cette donnée, le groupe ne serait pas ce qu’il est, et ce pourquoi on l’aime comme un enfant bâtard : un électron libre, turbulent et agité, faisant le con une minute et vous bouleversant celle d’après. Qu’on se rassure : si leur dernier album au titre sublime (Disque mineur, fin de règne animal) témoigne d’une plus grande assurance artistique, cette délicate fragilité est toujours au rendez-vous.

Les Frères Nubuck / Perio
Vendredi 12 décembre à 20h
à EVE (campus)

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