Hawaii, notice d’état

En tournant le dos à l’aventure Chokebore, le troublant Troy Von Balthazar s’est construit un univers musical qui lui correspond parfaitement : foutraque, fragile, mélancolique à souhait, mais porté par une énergie créatrice s’épanchant fabuleusement sur scène. François Cau

Le constat est cruel, mais bon : on ne peut pas dire que la scène rock hawaïenne ait vraiment traumatisé son monde. A une notable exception près, qu’on doit à Chokebore. Formé en 1993, le groupe a imposé tout du long d’une discographie riche de six albums une énergie du désespoir post-rock a même de chavirer les foules. De fait, le succès est presque au rendez-vous : la réputation du groupe traverse vite les frontières, suscite l’intérêt d’un certain Kurt Cobain, qui ira jusqu’à filer un coup de main à la formation en la programmant en première partie de bon nombre de concerts de Nirvana. Sur le devant de la scène, un chanteur discret, suintant le malaise à fleur de peau, participe pour beaucoup à l’identité artistique de Chokebore. Troy Von Balthazar, humble bidouilleur sonore qui se voyait plutôt suivre une carrière footballistique, s’est presque lancé dans l’aventure sur un coup de tête. Hey petit, ça te dit de venir faire le chanteur / parolier ? What the fuck, pourquoi pas après tout. Troy se rappelle le conseil avisé que sa mère lui avait donné beaucoup trop jeune : si tu te lances dans l’écriture, évite surtout de lire le travail des autres, ça t’influencera forcément et tu n’arriveras plus à t’en détacher. Dont acte. Troy ne revendique aucune influence, verse dans l’introspectif, dans ce qui l’émeut, l’agace, garde toujours sur lui une photo de son premier grand amour perdu pour trouver l’inspiration émotionnelle.Solitude mon amour
Cette inclination pour la sécheresse affective imprime graduellement sa marque sur les productions discographiques de Chokebore, annonce en filigrane le tournant que prendra la carrière de Troy dans un futur pas si éloigné. Au bout de dix années passées sur les routes, dans un van avec les mêmes personnes, il ne souhaite rien tant que se retrouver, passer du temps seul. D’où sa volonté de fuite en avant. Chokebore est devenu un groupe respecté, sur le point de flirter avec une notoriété à la hauteur de ses qualités musicales. Mais c’est pile à ce moment clé que Troy se fait la malle, dans le dénuement quasi-total, avec en ligne de mire implicite cette peur apoplectique de plaire - qui se ressent dans ses textes, dans la façon qu’il a de parler de sa vie sentimentale, dans le rapport complexe, à la fois distant et connivent, qu’il instaure avec le public lors de ses performances scéniques. Il squatte chez des amis et des fans à droite à gauche, entre son Honolulu natale, Los Angeles, Paris, Berlin, écrit et compose pendant ses incessants voyages en train, ne garde pour seule attache que celle de sa guitare. Lorsque le label français Olympic Disk lui offre l’occasion d’enregistrer son premier album solo éponyme, il saute dessus à pieds joints. En trois semaines intensives, il s’occupe de toutes les tâches de la production, court dans tous les sens, privilégie les instruments et accessoires vintage, déglingués, à même de faire sortir les sonorités décalées qui lui trottent dans la tête avec insistance. Spleen est idéal
Le résultat, sorti en 2005, prend tout le monde par surprise. Une vraie perle pop-rock, dont le côté lo-fi n’est jamais assumé de façon purement poseuse, mais bien dans un souci d’expérimentation intime toujours convaincant. Qu’il donne dans la comptine élégiaque (I block the sunlight out), la ritournelle irrésistiblement amère (Magnified) ou même le bordel sonore le plus décomplexé (l’incroyable Bad Controller), Troy Von Balthazar compose un univers mental des plus cohérents, soutenu par ses envolées vocales sur la corde raide. Sur scène, il fait vivre ses morceaux à la façon d’un Joseph Arthur ou d’un Matt Elliott : seul, flanqué de sa guitare, de samples, de boucles sur lesquelles il rebondit en permanence, instaurant un rapport de timidité immédiatement séductrice avec le public. Récemment, Troy a confirmé ce saisissant coup d’essai avec TVB 3 EP, son nouvel album. Sur scène, il se fait occasionnellement accompagner d’une guitariste et d’un batteur au diapason de ses compos. Comme s’il cherchait subitement à sortir des affres dévorantes de la solitude. Ses désirs inconscients sont des ordres : on va aller massivement aller l’applaudir à EVE. Troy Von Balthazar / Monster
Mercredi 15 avril à 20h30, à EVE

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