Desseins animés

Figure insaisissable du rock français, activiste musical de l’ombre derrière les instants d’apesanteur d’Alain Bashung ou de Jacques Higelin, Rodolphe Burger vient honorer la Source d’une visite avec son singulier “concert de dessins“. Rencontre. Propos recueillis par François Cau

Petit Bulletin : D’où est venue l’idée de mélanger votre live aux performances dessinées ?
Rodolphe Burger :C’était une invitation de Dupuy et Berberian (voir ci-contre), je n’aurais jamais eu une telle idée. Et ce fut une surprise incroyable, surtout vu mes craintes. D’une part, même si je me compose depuis une petite culture, l’univers de la bande dessinée ne m’est pas familier, et je redoutais surtout sur scène quelque chose d’artificiel, ou de dissocié. Le temps du dessin n’est pas du tout celui de la musique… Et là, ce qui est fantastique, c’est que déjà ils dessinent à deux, ils sont dans un rapport de complémentarité, de duo fascinant dont on peut observer le travail pendant le live. Aux répétitions, on a fait le choix de coller au maximum au rythme du concert, avec un dessin par morceau, pour être dans la même dynamique. Même s’ils ne sont pas dans l’improvisation, ça évolue à chaque fois ; en plus, ils sont complètement dedans musicalement, ils bougent, ils dansent… Vous aurez également à vos côtés le trompettiste Erik Truffaz, on sent dans votre collaboration une envie d’explorer des émotions rock qui vous sont propres…
Exactement. Quand on s’est rencontrés, on s’est découverts ce point commun, j’ignorais qu’il avait ce rapport très fort au rock. Il m’a dit n’avoir eu que très peu l’occasion de l’exprimer dans ses divers projets, donc dans notre façon de faire, on a aménagé plus d’espace. Dans votre dernier album, Valley Session, vous entérinez avec vos reprises et variations de vos anciens morceaux l’idée que l’art n’est pas quelque chose de figé…
La reprise m’a toujours intéressé. C’est un peu l’école du rock, les autodidactes commencent toujours par reprendre avant de trouver leur propre son. J’aime beaucoup ce que ça raconte, dans le jazz notamment, ça montre à quel point les choses ne sont jamais finies, arrêtées, et que le passé du coup n’est jamais mort. Charlie Parker, Ornette Coleman, Miles, les grands novateurs étaient des révolutionnaires de la musique qui se libéraient du passé, de la tradition, mais en même temps, aussi loin qu’ils pouvaient aller dans ce geste de libération, ils accomplissaient simultanément un geste d’hommage. Avec Kat Onoma, on a beaucoup pratiqué ça, et je continue dans cette voie. Justement, vos réinterprétations de morceaux de Kat Onoma, c’est un peu une façon de démontrer aux contempteurs de l’époque que la formation ne se cantonnait pas à sa seule image “intello“ ?
C’est le boulet que s’est traîné Kat Onoma, malheureusement. En plus, c’était ma faute : il se trouve que j’avais fait de la philo… Voilà, ça s’arrêtait là, et ça venait surtout de gens qui ne nous connaissaient même pas. On était prêts à assumer cette image, mais ça restait fâcheux : par intello, on entendait cérébral, forcément emmerdant, sérieux, grave voire prétentieux. Mais ça s’est atténué, avec le temps… Le contexte français est quand même très paradoxal. On ne peut nier que la France est un grand pays culturel, mais en même temps, c’est un pays ultra figé, ringard avec sa variété qui continue de dominer. Et le rock français, à l’époque, se devait de rester juvénile, la réplique version Mickey des sons anglo-saxons, alors qu’on n’était pas du tout dans cet espace-là. Dans le même ordre d’idée, votre album précédent, No Sport, vous a rattaché au registre de la chanson française, alors que vous n’êtes pas du tout synchrone avec cette nouvelle scène…
C’est sûr que je n’avais jamais autant chanté en français sur un album. Pour autant, la chanson française, ça ne m’est pas complètement étranger mais presque. C’est plus exotique pour moi que la musique ouzbek – je ne dis pas ça pour être méprisant, il y a des choses que j’admire beaucoup, mais ce n’est pas du tout mon point de référence. Ce que j’ai pu écouter venait d’ailleurs, je ne trouvais pas mon compte dans la chanson d’un point de vue musical. Pour moi il n’y avait pas assez de musique, des textes, oui, parfois très beaux, très forts, ce n’était juste pas l’essentiel. Alors que dans le rock ou le blues, les deux éléments sont à égalité. Je schématise, je sais, mais c’est comme ça que je vois les choses. C’est pour ça que les exceptions pour moi étaient ceux qui arrivaient à monter le son de la musique. Gainsbourg, bien sûr, et Alain, ô combien Alain Bashung. Ça passait justement par un travail sur la langue, des trouvailles pour dépayser cette foutue langue française, la faire bouger. Je n’avais pas fait No Sport pour rejoindre la chanson française, mais pour montrer les possibles. Concert de dessins avec Rodolphe Burger, Erik Truffaz, Dupuy et Berberian
Jeudi 8 avril à 20h30, à la Source (Fontaine)

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