«Je ne crois pas à l'art élitiste»

LYRIQUE/ Cette semaine, deux spectacles tentent de démystifier la forme opéra pour la rendre accessible au plus grand nombre. Alors que Peter Brook propose Une Flûte enchantée minimaliste, Paul-Alexandre Dubois monte quant à lui un Opéra de quatre notes extrêmement drôle. Et offre ainsi un regard ironique sur cette forme artistique très codifiée. Rencontre. Propos recueillis par Aurélien Martinez

Petit Bulletin : Avec L’Opéra de quatre notes, le compositeur américain Tom Johnson a utilisé le principe de la mise en abyme. Il s’agit donc, sur scène, de démonter la machine opéra…
Paul-Alexandre Dubois : Je pense que Tom Johnson est plus fondamental. Il fait un exercice étrange : sur scène, les personnages chantent ce qu’ils pensent de l’œuvre au moment où ils la chantent ! Du coup, ça révèle certains mécanismes qui se passent dans l’opéra en général. Mais je ne suis pas certain que, fondamentalement, le sujet de l’opéra soit l’opéra. C’est plus le résultat de cette mécanique.

Une mécanique tout sauf didactique, contrairement à ce que l’on pourrait penser…
Comme dans toutes ses pièces, Tom Johnson met en place un dispositif qui se montre, se donne et s’explique lui-même. Mais ce n’est pas du tout du didactisme pour expliquer ce qu’est l’opéra. Ça ne parle que de ce qu’il se passe sur scène. Et l’effet comique vient justement de là, de cette espèce de mise en abyme, de ce feedback constant. C’est ce que j’ai bien aimé dans cette pièce : on est en 1972, période de la naissance de la musique minimale, répétitive, avec Philip Glass et cætera… Des compositeurs qui créent des oeuvres très bien mais relativement sérieuses. Johnson va, lui, faire quelque chose de drôle, d’enlevé. Une espèce de divertissement alors que le principe de départ est très radical.

Car il a composé son œuvre en utilisant seulement quatre notes – ré, mi, si, la.
Ce qui est impressionnant, c’est de voir qu’il arrive à créer un monde assez riche avec ces quatre notes qui se transposent. Ce qui demande beaucoup de discipline – comme chanter uniquement sur une note par exemple, ce qui n’arrive jamais dans l’opéra –, parce que sur tout un spectacle, c’est dur de s’en tenir à quatre notes. C’est une espèce de contrainte que ressentent les personnages eux-mêmes, à travers la présence d’un Dieu compositeur dont on cherche le pourquoi du comment de cette création ! C’est là qu’est la part la plus compliquée. Parce qu’au niveau de la mise en scène, Johnson a tellement varié les ambiances… J’ai ainsi essayé de jouer sur des choses un peu référentielles, détournées : à un moment donné par exemple, une des chanteuses arrive en japonaise, référence à Madame Butterfly [un opéra de Puccini – NDLR]. Mais évidemment, on peut très bien apprécier la situation sans connaître les références.

Peter Brook, qui revient à la mise en scène d’opéra après une longue pause, évoque « une haine absolue de cette forme figée - non seulement "la forme opéra" mais aussi "les institutions opéra", le "système opéra" qui bloque tout ». L’œuvre de Tom Johnson semble s’inscrire dans cette lignée de détournement des conventions…
L’opéra est un lieu de contrainte et de formalisme terrible. Alors évidemment, on peut le changer, le détourner, s’en libérer, ou carrément rendre la contrainte encore plus physique, plus claire… Je n’ai pas vu l’opéra de Brook, je ne m’avancerai donc pas. Mais pour le nôtre, il est clair que Tom Johnson casse les logiques. Il aime que l’on voie ce qu’il se passe. La propre peur du chanteur devient la peur du personnage. Comme dans cette scène où la mezzo chante pendant plusieurs minutes a cappella, tout en devant absolument finir sur un la. D’où l’angoisse qu’elle communique.

Ces formes "opéras", courtes et légères niveau technique, semblent plus accessible… Avec notamment le fait qu’elles peuvent être jouées dans des salles plus petites, dans des villes où il n’y a pas forcément d’opéra...
C’est vraiment une pièce qui s’adresse à tout le monde. Évidemment, les chanteurs qui viennent la voir se sentent concernés, parce qu’il y a des histoires d’ego… Et en même temps, comme il n’y a pas de coup fourré dans notre histoire, comme tout est présenté, tout le monde peut suivre cet opéra sans perdre quelque chose. Ça s’adresse bien à tout le monde. De toute façon, je ne crois pas à l’art élitiste. D’ailleurs, je voudrais rajouter que Tom Jonson veut que son opéra soit toujours chanté dans la langue du pays où il est présenté. Avec cette volonté qu’il n’y ait pas de distance qui empêcherait la compréhension [comme avec les surtitres qui sont souvent légion dans les opéras classiques en italien, allemand… – NDLR].

L’OPÉRA DE QUATRE NOTES
Jeudi 27 à 20h, vendredi 28 à 10h et 19h, à l’Amphithéâtre de Pont-de-Claix.

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