Son côté punk

Portrait énamouré de Patti Smith. François Cau

Les sportifs professionnels sont des branleurs. Sérieusement : et que je prends ma retraite à 40 balais, et que je fuis les fans trop pressants, et que je développe des exigences d’empereur romain sans garantie de résultat derrière… Le rock, voilà une discipline qui vous forge le caractère, pour laquelle même les plus grands se consument à petit feu. De la période fondatrice des années 60-70, les reliquats sont à ce titre tristement éloquents – depuis qu’Elvis a exhibé sa morbide obésité sur scène, les vannes sont irrémédiablement lâchées. Ceux qui n’ont pas crevé la gueule ouverte à l’âge de 27 ans (Hendrix, Joplin, Morrison) encaissent aujourd’hui les chèques pour des représentations où ils ne sont même plus les ombres de leurs gloires passées ; ils s’auto-parodient, galvanisent à grand-peine des foules aveuglées par la nostalgie d’une époque qu’elles n’ont jamais connue. Patti Smith, elle, a échappé à tous ces clichés déambulants. Discrète sans pour autant jouer les inaccessibles, étanche à toutes les fragrances revival qui exaspèrent les puristes, à contre-courant sans jamais brandir sa marginalité en étendard, égérie, muse, source d’inspiration toujours inspirée, rebelle avec causes, contestataire orientée, une seule de ses apparitions suffit à damer le pion à toute la clique des opportunistes qui ont voulu s’approprier l’esprit rock pour mieux le prostituer.

Poser son style

Patti Smith doit sa prime renommée musicale à deux reprises – fait aussi rare que remarquable qui se vérifiera bien plus tard avec son superbe cover album (Twelve), ses interprétations hautement personnelles imposent d’emblée une individualité artistique hors normes. Son Hey Joe est une incarnation fiévreuse du standard repopularisé à peine huit ans plus tôt par Hendrix, où sa voix se brise avec hargne sur son jeu de guitare extrême. Gloria des Them se voit quant à elle bousculée notamment par une intro à résonnance autobiographique, où la chanteuse proclame que Jésus est mort pour des péchés, mais pas les siens. Agée de 28 ans – et donc à l’abri d’un destin rock funeste ! – la jeune adulte dit au revoir à l’enfant élevée dans le dogme des Témoins de Jéhova. Horses, son premier album, s’affranchit à son unique façon de tous les canons en vigueur dans la sphère rock. Réinterprétations pénétrées de la dialectique sacrée couplets / refrains, incursions poétiques de célestes volées, énergies vocale et musicale à ce point tétanisantes qu’elles traumatiseront dans le bon sens les ados qui donneront naissance au style punk, cet album, produit par John Cale du Velvet Underground, ouvre des possibles que les tauliers de l’industrie discographique n’auraient même pas imaginés. Le tout avec une identité qui s’affirme dès les premières oscillations d’une voix heurtée, aux inflexions imprévisibles, sensibles, fragiles puis volcaniques – en un mot, géniales. Ces singularités, Patti Smith les conservera et les fera évoluer tout au long de sa carrière, se servira de ses expériences personnelles pour nourrir son art, sans s’y perdre ou se trahir.

Bousculer les bruits du monde

En dehors de ses impeccables productions discographiques, Patti Smith ne s’est pas construit de personnage public. Son militantisme, particulièrement exacerbé pendant les mandats Bush, n’a jamais suinté la propreté sur soi suffisante d’un Bono. Ses absences parfois longues d’une décennie n’ont pas relevé d’un quelconque business plan mais, avec une simplicité qu’on pensait incompatible avec la célébrité, du seul besoin de rester auprès des siens et de fuir l’agitation des nombrilistes de tous poils. Ses incursions dans d’autres disciplines procèdent invariablement de recherches en adéquation avec son aura artistique – et ce même lorsqu’elle apparaît dans le Film Socialisme de Godard… ou dans la série New York Section Criminelle. Ne vous fiez pas à ses apparences de lady débraillée : à sa façon, Patti Smith demeure une authentique punk, à la marge de tous les usurpateurs contemporains ayant accédé au titre d’idole.

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