Playlist

Une sélection de morceaux emblématiques de Patti Smith. FC

Land (Horses, 1975)

Un morceau de plus de 9 minutes, d’une extravagante liberté, incroyable fusion entre ses primes activités poétiques influencées par les auteurs de la Beat Generation et ses velléités de prophète rock – chacun de ses albums contiendra au moins un de ces morceaux de bravoure, comme une marque de fabrique à contre-courant des formats radiophoniques déjà devenus la norme. Le texte, d’une longueur forcément épique, commence par être quasi murmuré. Les doublures voix se font plus pressantes, le riff de guitare monte vite en puissance, en rythme sur les scansions du prénom du “héros“. Le chant amène progressivement la mélodie à l’aide de mantras répétitifs et addictifs, puis le morceau prend son envol, avec une fougue jamais démentie. Le texte, collage surréaliste exécuté à grands renforts de néologismes, est une invraisemblable épopée tour-à-tour drôle, glauque, perverse et enlevée.  

Pissing in a river (Radio Ethiopia, 1976)

Une superbe ballade rock, fiévreuse, désespérée, l’attente d’un être aimé dont on sait qu’il ne ressent rien en retour. Quand la poésie s’y fait triviale, à l’image de son titre ou du terrible vers « My bowels are empty, excreting your soul », c’est pour mieux nous étouffer sous son fatalisme. Débuté par un seul accompagnement au piano, dont on sentirait presque la douleur au bout de chaque note, le morceau prend une ampleur sidérante à chaque nouveau mouvement, s'autorise un semblant de respiration avec un solo pour mieux revenir à la charge.

Because the night (Easter, 1978)

Une intro pianotée désormais reconnaissable entre mille, une montée à la douceur piégée, un refrain définitif, qui vous reste en tête des jours durant. Le classique des classiques, que même la putride reprise de Cascada n’a pas réussi à saloper. D’un premier jet écrit par Bruce Springsteen, Patti Smith remanie les paroles et tire un brûlot rock à la sensualité trouble, où l’amour et la luxure dansent à contretemps, où le désir pour l’autre devient une meurtrissure. Springsteen interprètera tout de même sa version sur scène, mais tout boss soit-il avec tout le respect qui lui est dû, il faut tout de même avouer que ses paroles, beaucoup plus terre à terre, sont bien moins marquantes.  

People have the power (Dream of life, 1988)

Un titre particulièrement délicat, puisqu’il ouvre un album faisant suite à neuf années de silence radio pour l’artiste, retirée de la scène pour élever ses enfants. Wave (1979) se terminait par le titre éponyme, texte parlé sur une mélopée anxiogène et terminé par une série de « Goodbye », conclusion lapidaire et cinglante d’un album globalement plus pop (comme en témoigne l’entraînant single Frederick). Là, dès les premières mesures de People have the power, ouverture très springsteenienne annonciatrice d’un refrain enfonçant largement le clou de cette influence, le retour à une esthétique plus rock s’impose. Le chant est quant à lui plus tenu, moins sur la corde raide et plus efficace. Pour ce qui est du texte, Patti Smith démontre qu’elle n’a rien perdu de sa force poétique, ici au service de sa conviction militante majeure, martelée avec l’énergie d’une observatrice distante qui revient aux affaires. Les fans hardcore seront ensuite rassurés par la fragilité de Dream of life, la férocité implicite de Where duty calls, ou l’immédiate beauté de Going under ou Wild Leaves.

Dead to the world (Gone Again, 1996)

Une  nouvelle absence conséquente, marquée cette fois-ci par les disparitions de son frère, de son époux et collaborateur Fred Smith, de son ami Robert Mapplethorpe (dont elle parle dans son ouvrage Just Kids), de son pianiste, de Jeff Buckley (présent sur cet album dans le morceau Beneath the Southern Cross, pour sa dernière performance en studio) et de Kurt Cobain, qu’elle venait de rencontrer (le titre About a boy lui est dédié). Une véritable hécatombe, qui aurait plongé plus d’un artiste dans la sinistrose totale. Patti Smith, si elle ne manque pas d’imprégner de sa tristesse des textes somptueux comme rarement, revient aux sources de son sillon esthétique, débarrassé des quelques tics eighties de Dream of Life ou du caractère un peu fourre-tout de Wave. Tout éclectique soit-il, Gone Again s’écoute d’une traite, fait fi de tout pathos mais bouleverse, comme sur cette ballade aux discrets échos dylaniens, dont le final peut s’appréhender comme la note d’intention de tout l’album : «  Dead to the world / Alive I awoke ».

Jubilee (Trampin’, 2004)

L’ouverture de l’un de ses derniers albums studio résonne comme la réaffirmation du propos de People have the power – le renouveau viendra de l’union de tous les peuples, dans l’embrassade d’une destinée commune. Cette évidence, qu’elle n’aura eu de cesse de répéter dans le versant activiste de sa carrière, est pour le coup soutenue par une construction opérant à sa manière la refonte du classic rock aux accents politisés impulsé par Bob Dylan. Notamment grâce à son vieux complice Lenny Kaye, qui s’autorise même un (rapide) solo à la guitare.

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