« Transformer l'essai »

Pour la deuxième édition des Détours de Babel, émanation des anciens Grenoble Jazz Festival et 38e Rugissants, les musiques en résistance seront mises à l’honneur. Pour en savoir plus, rencontre avec Benoît Thiebergien et Jacques Panisset, respectivement directeur et conseiller artistique du festival. Propos recueillis par Aurélien Martinez

Les Détours de Babel, deuxième édition. L’édition de la confirmation ?
Benoît Thiebergien : L’année dernière, il fallait lancer la nouvelle manifestation, faire en sorte que son nom et son esprit puissent pénétrer le public de l’agglomération et le milieu professionnel. Et là, évidemment, cette deuxième édition est celle de la confirmation : il faut transformer l’essai, asseoir le festival, conquérir de nouveaux publics…

Les Détours de Babel sont présentés comme un « festival des musiques du monde contemporain »… C’est-à-dire ?
BT : Le festival explore principalement trois esthétiques musicales : les musiques nouvelles – tout ce qui est lié à la musique contemporaine, à la musique électronique… –, le jazz et les musiques improvisées, et enfin les musiques traditionnelles, dites musiques du monde. On explore donc ces trois champs, en montant des projets avec des artistes qui viennent de ces esthétiques-là, mais qui sont dans des dynamiques d’ouverture et de croisement avec d’autres champs musicaux.
Jacques Panisset : Et ce qui fédère l’ensemble, c’est que tous ces regards traitent du sujet de cette année, qui est celui de la résistance.

Car vous avez sous-titré cette édition "musiques en résistance"…
BT : C’est la deuxième partie d’un triptyque que l’on a construit lors de l’élaboration du nouveau projet, à savoir parcourir une thématique chaque année qui soit en résonance avec des problématiques contemporaines, des questions de société… La première édition avait donc pour thème "musique et identité", cette édition-ci c’est "musique et politique", traduit à travers le slogan "musiques en résistance". En 2013, on traitera des rapports entre musique et religion. Et on est en train de réfléchir à la suite donnée en 2014…

Sur la thématique de cette année, vous expliquez dans votre édito que « l’art révolutionnaire est mort avec la fin des idéologies ». Partant de ce postulat catégorique, à quelles formes de résistance vous intéressez-vous ?
BT : Il s’agit de voir comment, aujourd’hui, des musiques restent dans une dynamique de résistance, d’engagement, de témoignage. Alors que l’on a eu, dans les années 60 / 70, une avant-garde avec une très forte connotation politique, un engagement global que l’on a vu dans toutes les expressions artistiques. On était dans l’époque de l’art révolutionnaire, alors qu’aujourd’hui, c’est quelque chose de révolu, qui n’a plus de sens.

Concernant le jazz, on voit bien, de part son histoire, qu’il a porté de nombreux idéaux de résistance. Qu’en est-il de la musique contemporaine, à l’aspect révolutionnaire aujourd’hui moins évident ?
BT : La musique contemporaine est née de la volonté de sortir de la musique académique, de la musique classique, en bouleversant les codes de l’écriture musicale. C’était un acte politique au sens large du thème. Dans les années 70, c’était une musique révolutionnaire au sens étymologique du terme. Des gens comme Kagel, ou John Cage, que l’on retrouve dans le festival, ont été des précurseurs, des personnages engagés, anticonformistes, flirtant avec l’underground… Après, tous les grands bouleversements artistiques ou esthétiques ont, avec le temps, tendance à s’institutionnaliser, à s’académiser. C’est valable aussi pour le jazz, d’une certaine façon. On regarde donc comment ces musiques-là, aujourd’hui, résistent à l’académismes.

Et les musiques du monde ?
BT : Dans ce cas, on est parfois dans un rapport ambigu, avec par moments un formatage pour le public occidental. Nous, ce qui nous intéresse avec cette ouverture sur les musiques du monde, c’est de montrer des formes traditionnelles très élaborées qui racontent la culture ou les civilisations qui les ont produites. Mais c’est aussi de voir des musiciens issus des musiques traditionnelles qui sont dans des dynamiques de rencontre, de création. On ne veut donc pas simplement montrer des formes exotiques, mais voir comment aujourd’hui elles sont pleinement contemporaines, et souvent en résistance dans des pays où la liberté d’expression n’est pas toujours assurée.

Les évènements récents, notamment dans les pays arabes, illustrent parfaitement votre thème. Tous les artistes invités, qu’ils viennent de telle ou telle partie du globe, résistent-ils à leur manière ?
JP : On a pensé que l’on avait anticipé les révolutions arabes, mais c’est dans l’air du temps ! Les sociétés sont en marche, même celles qui paraissent immobiles. Et l’on voit bien que les artistes sont souvent de bons baromètres des évolutions en marche. C’est assez frappant de voir Obama chanter le blues à la Maison blanche avec B.B. King, qui est associé au mouvement d’émancipation des Noirs aux États-Unis…
BT : Oui, puis même en France… Enfin, je ne parle pas du président Sarkozy qui chanterait avec…
JP : Didier Barbelivien !
BT : Même en France donc : si on a invité Bernard Lubat, c’est parce que c’est un résistant dans l’âme, et qu’il le met en pratique notamment dans son festival résistant d’Uzeste.

Cette année, plusieurs évènements en lien avec le Mexique ont été reprogrammés suite à leur annulation l’an passé…
BT : Lors de la première édition, on avait dû, la mort dans l’âme, annuler un certain nombre de créations prévues. On a pu en sauver trois, que l’on a voulu reprendre cette année : le travail avec les harmonies de Crolles, sur le répertoires des bandas mexicaines – un art de rue que se sont approprié les Amérindiens, qui est devenu pour eux une forme d’expression artistique témoignant de leur propre identité. Et la grande soirée Via Mexico à l’Hexagone de Meylan, qui aura lieu en deux temps : d’abord l’Ensemble orchestral contemporain qui va présenter plusieurs œuvres de jeunes compositeurs de la scène mexicaine, avec en soliste le joueur de flûte à bec Horacio Franco. Et en deuxième partie, le projet Wixarika porté par le musicien électro Murcof qui, avec Edgar Amor, a monté ce projet avec des musiciens indiens huichols, qui sont en même temps de chamans.

Pour terminer, l’un des axes forts du festival, à côté des propositions en salle : les spectacles de rue…
JP : On souhaite ainsi toucher un plus grand nombre de gens, et non pas que les spécialistes. Le véritable enjeu maintenant, c’est de donner à voir et à entendre de la création musicale dans des configurations non sacralisées. Et l’espace public est important, puisqu’il appartient à tout le monde. On a pensé le format global du festival autour de ce rééquilibrage indispensable.

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