Pascal Bouaziz (Mendelson ) : « J'avais envie d'un disque radical »

Mendelson

La Bobine

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Après six ans d'absence, le groupe de rock français Mendelson opère un retour fracassant avec un triple album éponyme étouffant comme le syndrome du même nom : coupe transversale saignante et bileuse de la société d’aujourd’hui. À l’occasion, de son concert grenoblois, Pascal Bouaziz, maître d’œuvre du groupe, s’explique sur ce voyage au cœur des ténèbres. Et un virage radical qui pourrait bien être le dernier. Porpos recueillis par Stéphane Duchêne

Six ans après Personne ne le fera pour nous, Mendelson est votre album le plus noir et donne l’impression que le groupe touche à une pureté et une radicalité qu’il sera difficile de dépasser… Avez-vous atteint le bout de la route ?

Pascal Bouaziz : On est arrivés à une forme qu'on recherchait depuis pas mal de temps. J'ai l'impression que le disque est très clair. Alors certes, il est très noir mais très direct et pas très compliqué. Avec Mendelson, on a vraiment touché quelque chose auquel, sans forfanterie, je ne vois pas d'équivalent. On est ailleurs. Si on fait un autre album un jour sous le nom de Mendelson – même si j’ai souvent dit que le cinquième album pourrait être le dernier – il faudra se réinventer complètement, arriver avec une proposition totalement différente et très solide.

Aviez-vous dès le départ la volonté de frapper fort, d’éclater les formats, de jouer à fond la radicalité et la démesure ?

Oui, j’étais dans une période particulière et, avec ce que je voyais autour de moi, j’avais envie d’un disque radical mais aussi très court. Bon, sur ce dernier point c’est raté (rires). Finalement, on sort un triple album, qui ne contient jamais que 11 chansons, mais on a eu la matière pour un quintuple. Tout est parti des textes par lesquels, pour la première fois, j’ai commencé avant de penser à la musique : de mots que je n’étais jamais parvenu à formuler avant. La Force quotidien du Mal [premier morceau de l’album – ndlr] c’est quelque chose que j’avais en moi depuis longtemps, mais il manquait la distance nécessaire pour l’affirmer sans pathos. J’ai pris beaucoup de temps pour écrire. Et beaucoup réécrit, y compris, une fois posées les bases musicales avec Pierre-Yves Louis. Ce sont donc vraiment les textes qui ont décidé de la forme du disque, la longueur des morceaux.

Pour arriver à ces textes fleuves, avez-vous eu recours à la technique d’écriture du « courant de conscience » (forme de monologue intérieur caractérisé par des sauts associatifs ou dissociatifs) ?

Il y a l’auteur et il y a ce qu’on a commencé à écrire. Or parfois, ce qu’on a écrit décide de la suite. Ce sont des périodes où on lâche prise sans savoir ce qu’on va trouver. Ensuite, on reprend le texte, on coupe ce qui n’est pas clair et de là on repart dans un autre flux, presque inintelligible avant de tâtonner à nouveau. Le texte des Heures [unique morceau du deuxième disque – ndlr] m’a suivi pendant cinq ans. Sur 40 pages et 54 minutes d’un texte comme ça [qu’on peut également lire sur le livret de l’album – ndlr], on peut perdre trois mois sur un mot, une phrase…

Le texte des Heures a-t-il toujours était destiné à être une chanson ?

Il n’était surtout pas destiné à être aussi long (rires). Mais si ça avait dû être un roman ou autre chose, ce serait écrit très différemment. Ce n’est pas du tout le même état d’esprit et en dépit des formats, on reste toujours dans le monde de la chanson. Mais, je leur fais prendre une forme bizarre, monstrueuse. Comme si le Dr Frankenstein s’était mis en tête de faire une chanson. Après, une fois que les textes sont là, tous ne peuvent pas être chantés, ça a beaucoup conditionné la forme de l’album.

On est d’ailleurs frappé, en regard des albums précédents, par l’absence quasi-totale de mélodie…

Une mélodie sur 54 minutes, si on ne s’appelle pas Beethoven, ça ne tient pas, on tourne en rond. Sur 1983 (Barbara) [titre emblématique du précédent album de Mendelson – ndlr], il y avait deux accords et ça tenait sur 10-12 minutes sans qu’on s’ennuie. Donc là, il y a un, deux, trois accords, la rythmique, des ambiances, des bruits. On est proche de la musique concrète. L’effacement de la mélodie, je le vois moins comme une sorte d’effort conscient que comme une forme d’ennui son égard. Tout le monde fait de la mélodie. Tu jettes une pierre, tu tombes sur un mélodiste qui fait de la pop ou de la chanson pour illustrer des publicités.

Cette absence de mélodie, vous lui substituez la pulsation des textes…

Oui, dans « la manière de dire ». Des gens comme Brigitte Fontaine avec Comme à la radio ou Diabologum, dès leur premier album, ont trouvé une manière de dire les choses. Cette manière de déclamer le texte qui ne soit ni une lecture ni une chanson, mais autre chose, descend presque en droite ligne des Last Poets et de Gil Scott-Heron [pionniers du spoken-word et à certains égards du rap – ndlr].

Comprenez-vous qu’il puisse être difficile d’écouter la musique de Mendelson qui renvoie très frontalement et de manière très crue à des choses qu’on peut être amené à occulter pour se protéger, qui plus est dans une société de divertissement…

Si je prends du plaisir à voir des films de Kurosawa, de Bergman, à lire Vassili Grossman ou Imre Kertesz et que j’ai l’impression que ça fait de moins un être humain un peu meilleur dans ma perception du monde, ça ne me semble pas fou d’en proposer un équivalent – avec toute la modestie que ça implique – et que ça puisse intéresser. Les disques, les films qui veulent me divertir ou me raconter que la vie est belle me dépriment et même me mettent en colère. Je suis très surpris par exemple – et en même temps ça me semble très naturel – par la mode des « films pour enfants » pour adultes. Toute génération confondue, tout le monde va voir le même film. Qu’on veuille réduire les gens à la portion la plus congrue d’eux-mêmes, avec leur complicité en plus, ça, ça me semble difficile à concevoir.

Tout cela repose beaucoup sur le business de la nostalgie, sans doute parce que le présent est difficile à encaisser. Or dans les Heures, vous dites : « La nostalgie ça n’existe pas / La nostalgie c’est le manque / De quelque chose qui n’existait pas. » C’est un sentiment dangereux ?

C’est un sentiment qui peut être très naturel, pour moi y compris. J’écris des chansons très nostalgiques, j’ai même fait mon miel de la nostalgie. Mais pour le personnage dans la chanson, la nostalgie agit comme un trou noir : c’est un frein, un gouffre dont il doit sortir. Mais c’est quand ça devient un marché que ça devient flippant. Quand tout se globalise, quand tout le monde dit ou pense la même chose au même moment, « like » le même truc au même moment, s’émeut du même événement…

C’est ce que le philosophe et urbaniste Paul Virilio nomme joliment le « communisme des affects »…

C’est une très belle expression, mais c’est quelque chose dont il faut le plus possible se tenir à l’écart.

Mendelson + Michel Cloup Duo, vendredi 8 novembre à 20h30, à la Bobine

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