« Je ne me suis jamais senti artiste solo »

Peter von Poehl + Marie Modiano



ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

Quatre ans après "Mayday", le Parigot-Suédois Peter von Poehl est réapparu l’an dernier avec l’ultra-raffiné "Big Issues Printed Small" : près de trois ans de préparation sur scène avec orchestre, une journée d’enregistrement live en Suède et sans doute son meilleur album à ce jour, présenté à Meylan pour un concert dont sa femme Marie Modiano assurera la première partie. Propos recueillis par Stéphane Duchêne.

Pourquoi avoir choisi de préparer cet album sur scène avant de l’enregistrer en une journée dans les conditions du live, le tout avec un orchestre, ce qui ajoute encore à la difficulté ?
 
Peter von Poehl : C’est une démarche incohérente et absurde, j’en suis bien conscient. Avant de faire mes propres disques, j’ai fait beaucoup de musique pour les autres [Alain Chamfort, Lio, Vincent Delerm... – ndlr] et le studio est probablement ce que je connais le mieux dans ce métier. Même si j’ai toujours enregistré sur bande, avec la technologie d’aujourd’hui on contrôle de manière extrême l’espace acoustique, on peut corriger chaque petite note qui a l’air d’être à côté.

Là, l’idée était de ne pas intervenir dans le processus d’enregistrement, d’être pour une fois simplement dans la musique et d’autoriser que tout puisse se passer l’espace d’une journée. Cela paraît peut-être un peu idiot, mais en réalité ça change tout et je crois que le résultat aurait été très différent si on avait enregistré de manière plus traditionnelle. Mais pour cela, il fallait être prêt et toute cette préparation en amont a été comme un entraînement de sportif de haut niveau.

La préparation de l’album a été très longue, avec beaucoup de concerts en formation de 17 à 40 musiciens, pour aboutir à ce que je voulais : un enregistrement live sur une journée. Tout était très organisé, très calé, avec des partitions écrites jusqu’au moindre triangle.


Vous avez une fois de plus travaillé avec Christoffer Lundquist, qui a enregistré et co-produit tous vos albums dans son studio de Vallarum, près de Malmö (Suède). Parfois les musiciens changent de producteur pour trouver un nouveau souffle, un nouveau son. Ça ne vous a jamais traversé l’esprit, particulièrement sur ce projet à part ?


Non. Comme c’est le cas avec Martin Hederos, l’arrangeur et directeur musical du disque, ou Jens Jansson, le batteur : j'ai avec Christoffer un lien personnel très fort et très ancien. Mes premières maquettes, je les ai enregistrées dans le garage des parents de sa copine.



Je ne me suis jamais senti artiste solo. Je crois à une approche collective des choses. Avec le temps, quand on se connaît bien, il y a une marge d’improvisation ou d’incertitude assez restreinte. On travaille de la même façon et j’aime cette idée de garder le même cadre, comme je suis attaché au format classique d’une chanson : 3 minutes, couplet-refrain. On pourrait croire que c’est limitant mais c’est en fait assez libérateur. Une fois qu’on a ce cadre, on le remplit avec tout ce qu’on veut.


Vous revenez souvent sur cette notion de cadre qui contraste avec votre manière de composer, que vous jugez bordélique… Est-ce que le fait de vous entourer des mêmes personnes fait office de garde-fou ?


En fait, c’est justement une manière de pouvoir conserver cet aspect chaotique et imprévisible de la création qui, pour moi, est très important. En mai 2011, Christoffer a remporté le Sir George Martin Award, une bourse prestigieuse. Il nous avait demandé avec quelques amis d’assister à la cérémonie et de préparer quelques questions pour George Martin [mythique producteur des Beatles – ndlr].
 
L’une d’elles était de savoir pourquoi, sur les grands disques des Beatles, on entend parfois des bruits parasites, des gens qui marchent, qui parlent, un objet qui tombe, auxquels on ne prête d’ailleurs pas forcément attention mais qui font aussi tout le sel du disque. Nous pensions que c’était parce que la technologie de l’époque ne permettait pas d’effacer ces accidents. Mais George Martin nous a répondu que c’était justement fait exprès, parce que c’est là où les bonnes choses se cachent, de là que surgit la surprise. Je crois de plus en plus à ça : dans le fait que c’est dans ce chaos que je trouve des réponses.


Mais pour maîtriser ce chaos, il est nécessaire d’avoir un cadre qui t’empêche de déborder. Le fait de bien se connaître humainement y est pour beaucoup.


Qu’est-ce qui vous a inspiré pour cet album ?


J’ai toujours été très attaché aux mots. Sur le premier disque, les mots ont tout déclenché, guidé mes choix d’arrangements. Sur Mayday, le deuxième album, j’avais demandé des textes à Marie Modiano [sa femme et fille de l’écrivain Patrick Modiano, voir encadré – ndlr] justement pour échapper à moi-même et éviter de refaire le même disque. Grâce à ça, j’ai développé un rapport aux mots totalement décomplexé.


Cela a d’ailleurs rendu plus facile l’écriture de Big Issues Printed Small : les textes sont arrivés assez vite même s’il n’a pas de thème précis. Si j’essayais de faire une analyse à deux sous, je dirais qu’il ne s’agit pas vraiment d’histoires avec un début et une fin mais plutôt d’arrêts sur images de films. À la fin des chansons, on n’en sait pas beaucoup plus mais ce n’est pas très grave (rires).


Le titre Big Issues Printed Small résume parfaitement l’album : cet équilibre entre ces compositions, à la fois miniatures et impressionnistes, et l’ampleur que leur donne les arrangements...


Au départ, comme c’est toujours le cas, je cherchais un titre qui corresponde à la pochette, une œuvre gentiment prêtée par ma sœur. Quand j’ai fait la chanson-titre, il m’est apparu que ce devait être celui de l’album. Cette idée de cadre scientifiquement rangé et en même temps assez mal foutu, plein de taches, fait à la main. C’est l’image que je me faisais de cet album : un disque d’orchestre lo-fi.

Peter Von Poehl + Marie Modiano, samedi 15 février à 20h30, à la Maison de la Musique (Meylan)

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