« Adoucir les choses avec du Phil Collins »

Chris Garneau

Le Ciel

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Retiré dans la campagne du nord de l’État de New York, l'auteur-compositeur-interprète américain Chris Garneau profite de sa tournée française et de son passage grenoblois pour nous parler de "Winter Games", son album tout chaud sur le thème de l’hiver et des souvenirs. Où il est question de sérénité retrouvée, de première neige, d’apocalypse new-yorkaise et de Phil Collins. Propos recueillis par Stéphane Duchêne

En 2011, vous vous êtes retiré à la campagne après plusieurs années à Brooklyn, qui est un peu le cœur battant de la nouvelle pop américaine. Au départ, c'était simplement pour vous mettre au vert et écrire ; or vous y êtes toujours, installé dans une ferme au milieu d’animaux…


Chris Garneau : Quand j'ai quitté New York, c'était effectivement censé être temporaire. Et puis j'ai eu l'opportunité de rester, même si je vis aujourd'hui dans autre ferme, plus petite, avec moins d'animaux, que celle dans laquelle j'ai réalisé Winter Games. Je crois qu'au fond, j'ai vraiment voulu m'échapper de la ville. Je m'épuisais à essayer de me sentir bien dans une ville qui ne m'allait plus et rester n'avait plus aucun sens. J'aime toujours New York, c'est toujours un peu chez moi, mais quand je suis arrivé ici au milieu de la nature, c'est comme si les choses s'étaient remises à l'endroit. Je ne dis pas que c'est facile de vivre ici, mais j'y ai trouvé la paix et la modération. Être capable de maintenir une forme de constance dans ma vie de tous les jours est très important pour moi. Dans le passé, j'ai eu des problèmes de dépression, de dépendances, et c'est juste plus facile pour moi ici. Je n'aspire ni à de grands hauts ni à de grands bas : entre les deux pour moi, c’est parfait.

 

Vous décrivez Winter Games comme votre album le plus honnête, si ce n'est le plus personnel. Pourtant, toutes les chansons sont tirées de souvenirs sur le thème de l'hiver envoyés par vos proches à votre demande...


Quand j'ai demandé aux gens, à mes amis, ma famille de m'envoyer leurs souvenirs, ce n'était pas tant pour raconter leurs histoires ou faire la biographie de chacun. Cela m'a juste servi d'inspiration pour une nouvelle œuvre. Ces histoires ont été l’étincelle qui m'a permis d'allumer le feu de cet album. J'y ai totalement laissé infuser mes propres expériences, ma personnalité transparaît dans chacune des chansons. En ce sens, c'est un travail à la fois biographique et autobiographique.

 

Pourquoi avoir choisi de vous en remettre aux autres pour obtenir cette étincelle comme vous dites ? Vous étiez à cours d’inspiration ?


Mes amis et ma famille ont une influence considérable sur ma vie de tous les jours, qui va bien au-delà du simple fait d'écrire des chansons. Avec ce troisième album, je voulais sortir des limites habituelles des méthodes de songwriting et expérimenter une manière d'écrire plus fragmentée, plus abstraite, moins littérale. Cela m'a aussi poussé à être plus aventureux musicalement. Le moment où j'ai déménagé à la campagne est aussi celui où j'ai commencé à écrire Our Man, Reindeer, Danny... Des morceaux qui, sans être nécessairement abstraits, constituent pour moi un nouveau départ musical. Je n'avais rien planifié, je me suis juste permis d'expérimenter comme jamais auparavant. Le fait d’être seul à la campagne a sans doute beaucoup joué. Utiliser un nouveau contexte d'écriture était aussi une forme d'échappatoire.

 

Pourquoi ce concept autour de l'hiver ?


Je suis un enfant du nord-est des États-Unis – le Massachusetts, New York…–, et ici nous savons ce qu'est un hiver très rude – les étés ne sont d'ailleurs pas moins rudes, à leur manière. Mais l'hiver et le froid sont une obsession récurrente chez moi. La vie est, pour chacun et à bien des égards, un combat de tous les jours. Or, pour moi, l'hiver cristallise cette lutte. L'hiver, c'est beaucoup de problèmes pour chaque être vivant. C'est quelque chose qui me fascine : pas tant l'idée que des êtres puissent en baver que le fait de voir comment ils luttent, comment ils font face et transcendent ces difficultés. Je trouve très beau de voir des gens sortir victorieux des plus grandes difficultés. L'hiver, tout meurt ; ou disons que 80 % de ce qu'il y a dehors meurt, et je le vois à la fois comme une période de deuil et de renaissance. Pour moi, la première neige est comme une purge, une fin et le début du renouveau.

 

La résilience est au cœur de vos chansons depuis toujours…


Oui, complètement. En quelque sorte, ce n'est qu'après avoir commencé à écrire ces chansons, et surtout après avoir déménagé à la campagne, que je me suis rendu du compte de ce que l'hiver avait toujours symbolisé pour moi. Cela peut paraître flou mais les paroles de mes chansons en attestent. C'est là aussi que j'ai commencé à accepter l'hiver comme une saison, comme quelque chose qui passe et non plus comme une période maudite dont nous serions les otages.

 

Vous dites aussi que l'hiver est une période de mise à l'épreuve. Sur Oh God, qui a des accents apocalyptiques, vous chantez : « I think the end is here / It's gonna break us in two. » Pensez-vous que le monde soit lui-même aujourd'hui mis à l'épreuve au point de remettre en cause son existence ?


Oh God est la dernière chanson que j'ai écrite pour ce disque et elle dit précisément mon état d'esprit actuel. Je ne sais pas si c'est de la paranoïa ou si je prends trop à cœur les avertissements des scientifiques un peu partout dans le monde, mais j'ai le sentiment de plus en plus fort chaque jour que nos vies sont sérieusement menacées de destruction globale. C'est de pire en pire, et surtout ce n'est pas graduel, c'est même extrêmement rapide. On l'a vu un peu partout, on l'a même vu cet hiver à New York qui est un centre artistique dont les gens refusent de croire qu'il puisse être un endroit dangereux. C’est pourtant le cas, chacune de nos mégapoles côtières est menacée par un danger imminent qui peut la balayer. Je ne veux pas jouer les oiseaux de mauvais augure, je ne souhaite pas que ça arrive… C'est simplement ma plus grande peur. D’un autre côté, comme je dis tout ça sur la chanson la plus pop de l'album, les gens pensent que c'est une sorte de blague, mais je suis très sérieux (rires).

 

Vous parvenez tout de même à y mettre une touche d'ironie, notamment lorsque vous reprenez quasiment mot pour mot une phrase de Phil Collins : « I can feel it in the air tonight. » Vous avez d'ailleurs fait référence à lui dans des interviews sans que l'on sache trop si c'était pour la blague.


Je n'en ai aucun souvenir (rires). En tout cas, c'est fait pour être compris comme cela. Quand il s'agit de tenir un propos très noir à propos du sentiment de l'apocalypse à venir, ça ne fait pas de mal d'adoucir les choses avec un peu de Phil Collins (rires).

 

Vous jouez beaucoup sur le contraste. Vos paroles sont toujours très sombres et tristes, mais la musique qui les accompagne est très souvent lumineuse. Or, beaucoup de vos fans en Europe et en Chine par exemple, où vous êtes très populaire, ne comprennent probablement pas totalement ce que disent vos chansons. Est-ce que cela vous préoccupe ?


C’est une question d’autant plus intéressante que je suis persuadé que beaucoup de gens dont l'Anglais est la langue maternelle n'ont eux-mêmes aucune idée de ce que je raconte (rires). C'est parfois très drôle de voir ce que les gens pensent que vous dites et je n'ai aucun problème avec ça. En général, la musique constitue le moteur de la chanson, et je pense qu'à 93 % (sic) une chanson peut être interprétée rien qu'à la manière dont elle sonne. La musique n'est jamais en contradiction avec les paroles, quoi qu'on en dise. Et même si les gens les comprennent mot pour mot, ils les interpréteront de toute façon toujours à leur manière. La moitié de mes chansons est très littérale, explicite, et peut donner l'impression de ne demander aucune interprétation. Mais quand j'en discute avec les gens, je m'aperçois qu'ils se les approprient. Je ne sais donc pas vraiment ce que mon public comprend de mes chansons... J'ai quelques fans un peu partout dans le monde – ce qui est génial – et l'essentiel c'est qu'ils retirent quelque chose de ma musique. Peu importe ce que c'est, cela leur appartient.

 

Chris Garneau, vendredi 4 avril à 20h30 au Ciel

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