Bachar Mar-Khalifé : la musique en héritage

Quartiers libres 4

Parc de la Villeneuve

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Concert / Quatorzième édition pour le festival Quartiers libres. Avec une programmation pléthorique au sein de laquelle se niche Bachar Mar-Khalifé, musicien franco-libanais qui, l’an passé, a livré un splendide album d’électro-pop arabe teintée de world music. Ou quelque chose comme ça, tant son style est finalement – et heureusement – inclassable. Tout ça méritait bien une rencontre avant le concert prévu samedi au parc de la Villeneuve.

C’est l’histoire d’un jeune homme né en 1983 au Liban, d’un père très célèbre : le compositeur, chanteur et joueur d’oud Marcel Khalifé, véritable référence internationale dans son domaine – il a notamment beaucoup travaillé autour des poèmes du Palestinien Mahmoud Darwich, son grand ami. Une filiation imposante qui, dès le plus jeune âge, a forcément déteint sur le jeune homme et son frère aîné Rami, devenu depuis musicien (il est l’un des membres fondateurs du groupe Aufgang, qui avait eu droit à notre une en juin 2013 lors de son passage à la Bobine). C’est l’histoire de Bachar Mar-Khalifé qui, lui aussi, est musicien.

« Pendant mon enfance, l’environnement était totalement musical, à la maison, dans les déplacements. On accompagnait mon père dans ses tournées, on allait voir ses concerts... Mais c’était avant mes six ans [âge auquel sa famille part en France], c’est donc une formation inconsciente, organique, naturelle... À l’image d’un enfant qui apprend à parler. Le choix d’être musicien est venu bien plus tard, après les diplômes du conservatoire. À un moment, je me suis dit que c’est ce que j’étais, ce que je savais faire... Du coup, avec mon premier album Oil Slick [publié en 2010, à 27 ans], c’était la première fois que j’assumais complètement ce que je voulais exprimer. Bien sûr, ça faisait déjà des années que j’évoluais sur scène en faisant des concerts [par exemple au sein d’orchestres plus ou moins classiques ou du trio de création contemporaine K/D/M], mais c’est comme si j’avais oublié tout ce qui s’était passé avant, comme si c’était ma véritable naissance musicale. »

Tradition « indémodable »

Aujourd’hui, Bachar Mar-Khalifé s’est fait un prénom, grâce à Who’s Gonna Get the Ball from Behind the Wall of the Garden Today?, seconde production personnelle qui l’a soudainement mis en avant – il explique être très agréablement surpris par l’accueil chaleureux reçu. Sorti l’an passé, le résultat tisse finement des ponts entre musique traditionnelle et sonorités contemporaines.

« J’ai grandi en apprenant la musique. La musique traditionnelle m’intéressait vraiment, notamment celle de mon père. Et c’était justement l’un des côtés qui l’agaçait ; il pensait que je perdais mon temps à rester dans la tradition. Alors que quand j’étais au conservatoire, je faisais de la musique contemporaine, savante... D’où cette sorte de conflit que j’ai toujours eu, même s’il tend à disparaître... Car plus j’écoute de la musique traditionnelle, plus je la trouve moderne. C’est la musique la plus primitive qui soit, la plus indémodable, voire la plus futuriste possible. » Un avis que beaucoup partagent, Bachar Mar-Khalifé étant ainsi signé sur le label InFiné, créé par le DJ Agoria. Très loin de l’image parfois folklorique que l’on peut se faire de la world music.

« Besoin de liberté »

D’où un album très riche, fait de compositions et d’une poignée de reprises. Comme Ya Nas, morceau traditionnel koweitien ; Memories, relecture d’un thème de son père ; ou encore Marea Negra, deuxième version d’une ancienne chanson qui sert d’écrin au texte du poète syrien Ibrahim Qashoush, opposant farouche au régime de Bachar el-Assad qui fut retrouvé mort les cordes vocales arrachées. Un hymne insurrectionnel fait d’instruments (piano, percussions, basses...) martelés avec force, guidés par la voix maîtrisée de Bachar Mar-Khalifé. Le meilleur exemple de cette maîtrise étant à chercher du côté du titre Requiem, entremêlement d’un thème de son frère et de paroles de son père, où son timbre s’envole en ouverture, dans la plus pure tradition de la musique méditerranéenne.

Une voix qu’il ne laisse s’exprimer qu’en arabe (hormis sa sublime reprise d’un vieux tube de Gainsbourg, en duo avec l’Américaine Kid A). « L’arabe est ma langue maternelle, mais ce n’est pas celle que j’ai appris à l’école : je suis arrivé en France à l’âge de six ans, je maîtrise le français littéraire, j’écris en français... L’arabe, c’est une langue avec laquelle je suis en conflit, et j’avais besoin de ce conflit avec les mots pour ne pas avoir des réflexes de langage, ne pas avoir des images préconstruites... J’avais besoin d’une liberté comme l’ont eue certains poètes en écrivant dans une langue autre. »

« Seul dans mon jardin »

Who’s Gonna Get the Ball from Behind the Wall of the Garden Today?, c’est donc dix morceaux livrés de manière brute, presque impulsive. Ce qui se ressent à l’écoute, avec cette impossibilité de coller une étiquette au produit fini : musique du monde ? Électro-rock ? Pop arabe ? « C’est la chose que je n’ai pas envie de faire, même si je sais que cette définition est un passage obligé, notamment pour le marketing ou pour rassurer le public. Bien sûr, au départ, j’ai essayé de me battre contre telle ou telle appellation, mais je me suis vite dit qu’elles se valaient toutes ! »

Une étiquette qui peut aussi être géographique, au moment où une scène libanaise semble émerger au niveau mondiale – le meilleur exemple étant sans nul doute la chanteuse Yasmine Hamdan, que l’on a récemment pu découvrir dans une séquence musicale de l’envoûtant film Only Lovers Left Alive de Jim Jarmusch, et qui avait collaboré en 2009 avec le très électro-pop Mirwais pour un album grandiose confrontant les standards de la pop occidentale à ceux de la musique arabe. « Encore une fois, ça rassure les gens de se dire qu’il y a une scène qui émerge au Liban, avec de jeunes musiciens – il y a plusieurs noms qui sortent à chaque fois, dont celui de Yasmine, qui est une amie. Personnellement, je pense n’avoir jamais été trop mélangé à tout ça, ce n’est pas quelque chose que j’affirme ou défends. Ça doit venir du fait d’être seul dans mon travail, comme une protection contre ces vagues qui peuvent me fatiguer. Pour l’instant, je préfère être dans mon jardin à regarder les plantes pousser que de faire partie d’une émergence quelconque... »

Bachar Mar-Khalifé, samedi 7 juin à 22h, au parc de la Villeneuve (Grenoble), dans le cadre du festival Quartiers libres.

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