"Rest" : Charlotte Gainsbourg for ever

Charlotte Gainsbourg

MC2

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Concert / Il y a un an, Charlotte Gainsbourg a sorti "Rest", cinquième album dans lequel la chanteuse et actrice se livre comme jamais – sur son père Serge Gainsbourg, sur sa demi-sœur décédée, sur sa vie… Alors qu’elle sera en concert dimanche 2 décembre à la MC2, on remonte le fil d’une histoire musicale contrastée qui a pourtant permis d’aboutir à ce petit bijou.

Des morceaux en français : pour une artiste française (enfin, franco-britannique), cela semble presque évident (même si pas mal de musicien hexagonaux préfèrent uniquement s’exprimer en anglais, souvent par paresse) ; pour Charlotte Gainsbourg, c’est une petite révolution. Ou plutôt une affirmation : oui, c’est moi Charlotte Gainsbourg, fille du mythique Serge Gainsbourg (l’un des plus grands paroliers du siècle dernier) et de son interprète phare Jane Birkin, et voilà, je me confronte enfin à ce français si redouté ; faites en ce que vous voulez.

Un parti pris qui tranche avec ses précédents albums qui, eux, évitaient soigneusement, à des rares exceptions près, de se rendre sur ce terrain miné obligeant forcément la comparaison, à l’image de son 5:55 sorti en 2006, pile 20 ans après son fameux Charlotte for ever composé par son père. Aux commandes de ce grand retour sur la scène musicale (après, notamment, quelques timides tentatives, dont un duo avec Étienne Daho), les Français de Air, en collaboration avec Nigel Godrich à la production (on le considère souvent comme le sixième membre de Radiohead) et Jarvis Cocker de Pulp et Neil Hannon de The Divine Comedy aux textes.

Un casting classieux pour une sympathique réussite pop-folk qui, certes, ne révolutionna pas le monde de la musique (on ne peut pas faire la révolution tous les jours, surtout en musique), mais permit à la "fille de" de s’affirmer comme chanteuse (elle qui brillait alors principalement comme actrice) avec ce qui s’apparenta finalement à un deuxième premier album – ou à un album de Air en duo avec Charlotte Gainsbourg (ce qui est déjà pas mal).

Le poids de l’héritage

Voilà donc pour la renaissance musicale. Mais c’est avec son troisième disque, sorti en 2009 et baptisé IRM, que Charlotte Gainsbourg s’imposa réellement dans le vaste monde de la musique, grâce à la contribution de Beck (elle sait décidemment bien s’entourer). Un producteur et auteur qui, paradoxalement, n’hésita pas à convoquer par petites touches l’héritage paternel sur un panel de morceaux flirtant avec de nombreux genres musicaux – la pop, la folk, la ballade…

Un IRM empli de belles réussites (en premier lieu le petit tube Heaven Can Wait, l’entêtant IRM ou encore la reprise magnifique du Chat du Café des Artistes du Québécois de Jean-Pierre Ferland – tiens, du français !) qui aurait pu placer sur le devant de la scène n’importe quel interprète. Sauf qu’on parle ici d’une artiste au patronyme prestigieux, ce qui lui donne une responsabilité supplémentaire. Car si finalement être fille ou fils d’une légende ouvre sans doute de nombreuses portes, cela place sur la personne en question un poids énorme, surtout quand elle décide de s’aventurer sur le même terrain que ses illustres parents.

« Ne me laisse pas t’oublier »

Voilà donc pour la confirmation musicale, avant l’accomplissement, arrivé l’an passé après Stage Whisper (2011), troisième album mi-live mi-nouvelles compositions. Un accomplissement mûri longuement, comme elle l’expliquait en 2015 à un journaliste de Télérama venu l’interviewer à New York où elle habite aujourd’hui. « 50 % de mes nouvelles chansons sont en français, j’avais besoin d’oser le faire pour franchir une étape. C’est important de me situer par rapport à mon père. Mon vocabulaire vient de ses textes, de ses chansons, mes mots sont ancrés dans des phrases qui lui appartiennent. J’ai tellement entendu ses chansons dans mon enfance. Il les écoutait continuellement. J’ai l’impression de me réapproprier un langage qui pourrait être le mien. Je ne recherche surtout pas la comparaison. Je ne sais pas ce que ça vaut, ni si j’en ferai quelque chose, mais le coucher sur le papier, c’est déjà bien. »

En a découlé Rest, sorti à l’automne 2017 et particulièrement bien accueilli – notamment par une Victoire de la musique de l’artiste féminine de l’année. Une œuvre on ne peut plus personnelle qui parle d’elle, certes, mais surtout des fantômes qui l’entourent. Son père, forcément, comme dans le bilingue Lying With YouLaisse-moi donc imaginer / Que j'étais seule à t'aimer / D'un amour pur de fille chérie / Pauvre pantin transi / Où est parti mon baiser / Quand le coffre s'est fermé »), et, surtout, sa demi-sœur Kate Barry, fille de Jane Birkin et du compositeur John Barry, morte en 2013. C’est ce tragique événement qui irrigue véritablement Rest, avec des morceaux déchirants comme Kate (« Crois-tu qu'on se ressemble / On d'vait viellir ensemble / Dans notre monde imparfait / Imparfait »).

« Défendre mes propres chansons sur scène »

Où l’on découvre une Charlotte Gainsbourg au bord de l’impudeur (elle signe l’ensemble des textes) épaulée par le producteur électro SebastiAn de l’écurie Ed Banger. Ensemble, avec quelques partenaires épisodiques sur certains titres (dont Paul McCartney sur Songbird in a Cage), ils ont conçu un disque d’une grande intensité musicale (la voix en retenue de la chanteuse est comme portée par les orchestrations et les boucles du producteur) mariant anglais (souvent sur les refrains) et français et s’inscrivant non dans la continuité de ce faisait le tandem Gainsbourg-Birkin, mais dans son prolongement, comme un nouveau chapitre.

Une réussite que Charlotte Gainsbourg livre sur scène avec « plaisir », peut-être pour la première fois comme elle l’a souvent confié en interview – « Sans doute parce que je défends mes propres chansons, des chansons que j’ai écrites. J’ai moins le sentiment d’avoir à défendre des auteurs » (à l’émission Quotidien en avril dernier). Une confiance qui l’autorise alors à se confronter sereinement aujourd’hui à deux chansons mythiques de son répertoire, initialement chantées avec son père : l’incroyable et transgressif Lemon Incest et le très années 1980 Charlotte for ever. On espère qu’elle ne changera pas la tracklist pour le concert grenoblois.

Charlotte Gainsbourg
À la MC2 dimanche 2 décembre à 19h30

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