Engagé, mais pas que…

Rencontre avec Laurent Poncelet, de la compagnie Ophélia Théâtre, initiateur du Festival International de Théâtre Action de Grenoble. Propos recueillis par Damien Grimbert

Qu’est ce qui définit le Théâtre Action ?
Laurent Poncelet : C’est un théâtre en prise avec le monde d’aujourd’hui. Les troupes qui sont invitées par le festival traitent toutes de thèmes forts de société, qui soulèvent débat dans la cité, et qui, en même temps, travaillent à partir de formes et de matériaux en lien avec une culture d’origine. Et beaucoup de ces compagnies invitées, par ailleurs, sont souvent impliquées dans la vie sociale et politique de leur propre pays, ce qui explique aussi pourquoi elles travaillent autour de ces questions : elles ne sont pas déconnectées du monde dans lequel elles évoluent. Et ce qui est intéressant c’est que suivant les contextes sociaux, culturels et politiques, on pourra avoir des rapports différents, et une démarche artistique différente, avec des formes particulières autour de la danse, de la musique, puisque le théâtre, sous d’autres continents, peut présenter des formes très différentes. En tout cas, le texte peut ne pas être central. «Pas de discours, mais l’humain face au monde» ? Ça c’est essentiel, parce que c’est du théâtre et non pas un tract, on n’est pas dans quelques choses de didactique. L’enjeu, ce qui fait la source de tout acte artistique et du théâtre notamment, c’est le rapport de l’homme par rapport à ce qui l’entoure, dans ses souffrances, dans ses luttes, dans ses faiblesses, dans ses limites, dans sa fragilité… Je vais prendre le cas des tirailleurs africains par exemple, ou de la fermeture d’usine Nestlé, deux des spectacles invités. Dans un cas comme dans l’autre, le spectacle a été construit à partir de témoignages, de rencontres avec des anciens tirailleurs, avec des salariés de l’usine Nestlé… Et on va chercher à savoir comment chacun peut vivre, justement, ces situations-là, dans tout ce qu’elles peuvent générer comme souffrance, comme réaction de résistance. On va s’intéresser à l’homme, dans un contexte donné, face à une situation de crise, voir comment il réagit, comment il vit la chose… C’est un regard porté sur l’autre. C’est suivre l’autre.

Quels sont les principaux thèmes abordés cette année ?
La question du travail, on la retrouve sur deux spectacles, Tripalium et La Tentation du bazooka. Pour Tripalium, il est aussi question de la société de communication, des reality-shows, de l’image qui est derrière, mais traités en associant différentes langues, Italien, Espagnol, Français… Au bout du compte, c’est vraiment un propos européen, parce que l’homme, en Europe, aujourd’hui, est pris dans un contexte ambiant qui le pousse à toujours plus de superficialité, et en même temps dans des exigences propres à la survie, tout simplement, il faut trouver un travail… Qu’est ce qu’on est près à faire en termes de compétition, ne serait ce que par rapport à l’autre ? Ce sont tous ces thèmes-là qui sont réunis dans cette pièce, mais suivant, encore une fois, un regard italien, espagnol, belge… Européen. Dans La Tentation du bazooka, c’est aussi le monde du travail, mais c’est plus ce qui se passe à la suite d’une fermeture d’usine, comment on peut vivre cette situation, dans toute son humanité. Et parmi les autres thèmes présents, il y a celui des tirailleurs africains, qui a eu quelques actualités dernièrement par rapport au film (Indigènes, ndlr). Khalid Tamer a ce projet (Les soldats inconnus, ndlr) depuis deux ans, donc ça n’a aucun lien avec l’actualité, mais c’est un sujet qui lui tenait à cœur. Il a été au Sénégal, au Mali, et au Maroc, à la rencontre des anciens tirailleurs, et a mené son projet de création avec des artistes de ces trois pays, à partir d’une écriture qui provient de ces témoignages-là, et dans des formes particulières liées aux origines africaines des artistes. Enfin, dans Au Cœur des Ténèbres, c’est un peu différent, c’est du théâtre visuel, avec des comédiens venus du Vietnam, qui parle de la traite des êtres humains, des délocalisations, du travail des enfants. Et c’est aussi une manière d’encourager le théâtre dans ce pays, où il est quand même assez difficile de pouvoir s’exprimer. Il y avait donc cet enjeu en dehors du thème, c’était une première, et c’est vrai que ça n’a pas été facile de monter le spectacle. Du coup, c’est plus comme la première pierre, la première étape, de quelque chose qui sera amené à se prolonger par la suite.

On en vient à la pièce que vous avez mise en scène, Résistance – Resistencia, avec des jeunes danseurs des favelas de Recife…
Plusieurs thèmes y sont présents. Bien entendu, on retrouve la vie dans la favela, parce que c’est un thème central, mais aussi la force de la culture, comme un puits de résistance par rapport a toutes les discriminations que peut vivre la population des favelas. C’est à partir d’une réappropriation de la culture - et quand je dis culture c’est culture populaire, de la capoeira, du hip-hop, des cultures urbaines… - qu’on va revendiquer qui on est, mais surtout qu’on va exister, être présent dans une société brésilienne où il y a une fracture énorme, encore plus grande qu’ici, entre les habitants des périphéries, des favelas, et le reste de la population brésilienne.

Festival International de Théâtre Action, du 24 octobre au 25 novembre en Rhône-Alpes (à partir du 3 novembre en Isère)

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