Les enchaînés

Théâtre / Pour sa première mise en scène Grégory Faive n'a pas choisi la facilité avec Nous, les héros de Jean-Luc Lagarce. La mise en scène simple mais suffisamment inventive enclenche rêve et questionnement ; les comédiens de la Compagnie l’atelier étonnent et le défi est relevé haut la main. Séverine Delrieu

Sur une Danse Macabre débridée, des comédiens sortent d'une scène et débarquent sur une autre, face à nous. Cette musique de Saint-Saëns est annonciatrice du tiraillement vécu par les personnages de Nous, les héros qu'une mise en scène intelligente souligne : d'un côté la mort rôdeuse, de l'autre la vie engouffrée dans les joies de la scène et de l'amour. Dans un contexte économique désastreux, (un pays d'Europe Centrale au siècle dernier menaçé d'une guerre), ces comédiens se retrouvent après une énième représentation. Si la première partie du texte dépeint dix figures caricaturales grinçantes, Jean-Luc Lagarce étant parti de lieux communs sur le théâtre, bien vite des personnages naissent beaucoup plus contrastés, humains. La propriétaire retorse de cette entreprise du spectacle est mère (extraordinaire Bénédicte Lesenne) de trois enfants qu'elle a enchaînés à force de culpabilité (elle même enchaînée au spectre de son mari). Son fils Karl, non moins troublant Jérémy Marchand en adulte/enfant incompris est donc incapable de se libérer, sa fille Jospéhine la fiancée promise à Raban accepte son destin alors qu'Edouardowa sa dernière fille enfermée dans le rôle de l'idiote, ne l'est pas tant que ça. S'oppose le couple de comédiens sur le déclin, très touchante Anne Rauturier en ex-actrice à succès aigrie et François Jaulin vibrant qu'on n'oubliera pas dans la scène de lutte pour conserver son assurance retraite. Max (Yann Garnier), à l'allure nonchalante et au verbe assassin, nous surprend par ses changements de registres et la justesse de son jeu porté par une voix envoûtante. Nostalgie douce-à mèreAutre figure importante : celle du grand-père symbole écrasant du temps passé. Car ceux qui continuent à vivre au passé retiennent ceux qui voudraient avancer, se réaliser ailleurs. Si la mort colore leurs vies déçues, se larve dans leurs incapacités à quitter, la vie elle aussi s'invite dans le plaisir du jeu théâtral et dans l'attachement secret qui les relit tous. Dans un décor de loge surannée, la lumière se fait blafarde : la promiscuité étouffante entre ces êtres malheureux épousent les colères de tout ordre, les déclarations d'amour soi-disant secrètes (un choix de mise en scène renforce l’impossible intimité). Grégory Faive a réussi à la faveur d'une direction d'acteur agile et d'une mise en scène inventive (le plateau est une loge/le plateau est une scène de théâtre) à rendre sensible cet emprisonnement tout en dessinant des images émouvantes. Grâce à sa vision claire du texte, ses partis-pris justes, les sentiments de ces êtres nous enveloppent jusqu'à la tristesse infinie de la dernière scène : les ombres tournées vers un avenir absent, vraiment nous donne envie de pleurer.Nous, les héros jusqu'au 3 juin à 20h30, le 1er uin à 19h30 au Théâtre de Création

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