Chronologie du hasard

Théâtre / Gueule omniprésente des planches et du cinéma français, Yann Collette ouvrira en fanfare tonitruante la nouvelle édition de l'Hommage à l'Acteur. L'occasion rêvée de revenir sur un parcours hallucinant, raconté par l'intéressé avec une sincérité largement au-dessus de la moyenne. Propos recueillis par François Cau

Qu'est-ce qui vous a poussé vers le théâtre ?Yann Collette : Le fait de perdre mon œil. J'avais une belle gueule, et de me retrouver défiguré à l'âge de seize ans, à l'âge où on ne pense qu'aux gonzesses, c'est assez dur. Et du coup, je crois que j'ai vraiment voulu faire du théâtre comme une thérapie. J'ai vraiment eu de la chance, j'ai commencé au Cours Simon où je glandais pas grand chose, en fait on était deux à n'avoir, selon les profs, aucune chance dans ce métier, à ne s'intéresser qu'aux gonzesses de devant, François Cluzet et moi. Et de bonne mémoire, je ne crois pas qu'un autre de nous deux ait percé... Bref. J'ai passé le concours de la Rue Blanche, avec mes cheveux jusqu'aux tétons balayées par une grande mèche et des Ray-Ban noires. A priori, j'avais aucune chance, mais je crois qu'il y a eu un truc mystique, et j'ai été reçu. Au premier cours, la prof m'a fait monter sur scène, m'a demander de relever mes cheveux, d'enlever mes lunettes, j'ai vécu un calvaire pendant trois minutes avant qu'elle ne dise "voilà, notre ami a un œil de verre n'en parlons plus". C'était exactement ce qu'il fallait faire.Pouvez-vous revenir sur l'expérience du Théâtre du Chapeau Rouge ?C'est lors de ces mêmes cours que j'ai rencontré Pierre Pradinas. On est devenus inséparables au point de louer un appartement ensemble, le reste est une suite de chances, de hasards. On a monté des spectacles, on a réussi à "détourner" le pognon de l'école à nos fins, on a joué à Avignon avec de gros cartons à chaque fois, des reprises sur Paris, des subventions qui tombaient, c'est très vite parti en vrille. Comment vous expliquez ce succès rétrospectivement ?Je ne sais pas... J'ai une grande naïveté, je suis toujours supris quand les gens montent à Paris, qu'ils viennent me dire que c'est pour moi qu'ils se déplacent, je suis à chaque fois sur le cul vu que j'ai l'impression de repartir à zéro à chaque fois. Je sais que le cinéma joue un grand rôle dans cet engouement, les gens s'y projettent plus facilement. Mais pour revenir au Théâtre du Chapeau Rouge, j'ai fait ça une dizaine d'années, avant d'être le premier à en partir, suivi par Jean-Pierre Darroussin, Catherine Frot puis tout le monde. Pradinas est parti "ailleurs", sur des coups plus commerciaux avec des acteurs bankable ; pour ma part j'ai eu la chance d'être appelé par le théâtre "intello", de rencontrer des vrais fous furieux comme Bruno Bayen ou Antoine Vitez, qui étaient capables de tenir des conversations surréalistes sur comment éplucher une orange pendant une scène. C'est en les voyant que j'ai tout compris, et par la suite je n'ai eu à regretter aucun de mes choix. Vous avez également une carrière cinématographique des plus imposantes...C'est d'autant plus étonnant qu'à l'époque du Théâtre du Chapeau Rouge, dans notre esprit très militant, très à gauche, on chiait allègrement sur le cinéma... Et finalement je m'y suis mis, avant d'être vraiment révélé dans La Maison Assassinée, parce que dedans j'avais un beau rôle de "gentil" avec une gueule cassée. Il y a même des tas d'associations d'handicapés qui m'ont contacté à ce moment-là, qui voulait que je sois fer de lance de leur lutte, ce que j'ai refusé. Pour revenir au film, au début, je disais à mon agent que j'en avais rien à foutre de Georges Lautner, qu'il faisait des films avec Belmondo et des gros flingues, mais elle m'a pris rendez-vous l'après-midi même. Je suis parti de chez moi en ayant tellement peu envie d'y aller que je me suis fait un énorme pétard, puis un autre, avant d'entrer dans la Gaumont (à l'époque je fumais beaucoup). Je me retrouve face à Georges Lautner, qui me demande si j'ai vu certains de ses films. J'étais raide, raide, j'éclate de rire et je lui dis que c'est pas ma tasse de thé. Ça l'a fait marrer, il m'a ramené chez lui, m'a devant un film magnifique intitulé La Route de Salina, qu'il avait réalisé près de 18 ans plus tôt. Il m'a dit qu'il avait envie de revenir à cette veine-là. Je suis sorti, péteux et plus du tout défoncé, avec le désir de faire ce film. Et les projets se sont enchaînés. Votre rencontre avec Bilal est assez majeure dans votre parcours...On m'avait pris rendez-vous avec Enki Bilal, que je connaissais très bien à travers ses œuvres. C'était pour un rôle assez important, qui devait à la base être interprété par Jean-Pierre Léaud. J'arrive sur place et une personne me dit qu'elle est confuse, que Léaud s'est arrangé et qu'il peut faire le film. J'insiste en disant que j'ai tout de même envie de rencontrer Bilal, je rentre dans son bureau et ça a très vite flashé. On a parlé trois heures, de tout sauf de son film, Bunker Palace Hotel. C'était un tournage particulier, chez lui, à Belgrade... J'ai ensuite campé des jumeaux dans Tykho Moon, avant de plonger dans les trois phases de tournage d'Immortel (ad vitam). En ce qui me concerne, ce dernier film est une expérience unique, on ne s'en rend pas bien compte parce que quand même c'est un film assez raté, et d'ailleurs Enki est le premier à le reconnaître. C'était un tournage fou, qui a coûté une fortune colossale pour un résultat bancal... Mais il n'empêche que Bilal est un type que j'aime beaucoup, intelligent, cultivé, sensible ; c'est marrant, parce qu'en lisant ses bédés je m'attendais à un mec avec des cheveux jusqu'au nombril, qui sshootait en permanence, mais il est très clean, il n'a jamais touché un pétard de sa vie. Dès lors, vous tournez avec des auteurs très différents : Philippe Garrel, Jacques Rivette, Zulawski ou même Robert Altman...J'entends plus la guitare de Garrel est un très beau souvenir et un très grand film, peut-être son meilleur... Jacques Rivette... Ouais, bon... Le tournage de L'Amour Braque est un souvenir terrible, parce qu'Andrzej Zulawski est complètement fou ; je démarrais avec une scène où je ne parlais pas et j'observais ce qu'il se passait, c'était dans une petite pièce avec plein de femmes à poil par terre, avec de la cocaïne sur les jambes. Fallait que je me fasse une ligne, que j'écoute, tout raide, puis je prenais ma chaussure, que je cirais avec ma chaussette tout en éructant mon texte, c'était assez particulier... Quant à Robert Altman, c'est encore un truc de fou. Je vais à une projection de Short Cuts en jean-blouson, alors que tous les autres membres de l'assistance s'étaient encravattés. Le film se passe, on en prend plein la gueule, et après le film tous les acteurs français présents étaient autour d'Altman, à lui lécher le machin (je ne vous dis pas les noms parce que bon). Il me voit seul dans mon coin, s'approche de moi, on commence à parler de son film. Mon agent m'avait dit qu'il fumait des pétards, et donc dans un coup de folie, devant les types de la sécu, j'offre à Altman un énorme joint d'herbe pure. Il me demande ce que c'est, me remercie et s'en va. Le lendemain, mon agent m'appelle et me dit que Robert Altman me veut ABSOLUMENT dans Prêt-à-Porter, qu'aucun acteur n'avait eu le culot de lui faire quelque chose comme ça... Einstein disait que le hasard, c'est Dieu qui se promène incognito. J'aime bien cette expression. Vous avez une actualité très riche...Il y a tout d'abord le film du regretté Richard Dembo, La Maison de Nina, puis la reprise au théâtre de Bartleby, d'après Herman Melville. C'est un rôle formidable, injouable comme j'aime, où le personnage ne prononce en tout et pour tout une seule phrase ("je préférerais ne pas"). Mais la mise en scène est très adroite, et transforme les gageures en forces, c'est typiquement le genre de défi d'interprétation que je recherche en ce moment. Pouvez-vous nous parler du texte que vous allez interpréter pour l'Hommage à l'Acteur ?C'est un texte de Jean-Pierre Brisset, un personnage hors du commun, "en possession d'un secret d'une telle portée que tout ce qui précède n'a aucune valeur". On pourrait décrire Dieu Grammairien comme un mélange entre la science des solutions imaginaires et la paranoïa-critique de Salvador Dali. Brisset s'est construit une certitude de l'origine en partant de la sonorité des mots, le tout donnant des jeux de dingues sur le langage ; et le plus troublant, c'est que ça se tient... Le pari étant de jouer ce texte au premier et au deuxième degré en même temps. Dieu Grammairienpar Yann Collette le 11 octobre à l'Amphithéâtre de Pont-de-Claix

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