Une citadelle impénétrable

François Rancillac souligne dans sa mise en scène du Retour à la Citadelle que Jean-Luc Lagarce écrit en 1984, l’absurdité de la sphère politique, la solitude et la douleur intime des êtres qui peinent à se partager. Une citadelle, telle une métaphore de notre monde. Séverine Delrieu

La première image est figée. Des êtres assis autour d’une table de banquet - certains sont dos au public - partagent un long silence. Certains de leurs regards se portent vers la salle. Un trouble monte, comme si chacun attendait qu’un mot soit dit pour rompre cette tension, où pour faire débuter une représentation. Les hommes portent des costumes noirs, sobres. Une femme revêt une robe de cocktail plus voyante. Une autre porte un tailleur, alors qu’un jeune homme, plus décalé dans ce tableau, est en anorak et pantalon large. Le plateau, dépouillé, comme abandonné, porte les vestiges de différents temps, une table, des chaises, un rocher, un sol caillouteux, des coupes à champagne. Cette scénographie de Laurent Pedduzzi apporte une touche désuète et juste au propos. Enfin, la fixité de la première scène rejoint celle de la dernière, symbolisant le sentiment global à la vision de cette mise en scène : cette cité imaginaire bourgade lointaine et abandonnée tourne en boucle, une sensation renforcée par l’utilisation d’une tournette. Seuls, ensembleOn ne sait jamais pourquoi l’enfant du pays, qui a réussi loin, revient dans cette cité jamais nommée ; un état originel dirigé par une sorte de roi, et de sa femme, flanqué d’un vice-président (ici très drôle et excellemment bien joué) pour y devenir le nouveau gouverneur. C’est le jour de la réception. Les parents abandonnés par l’enfant prodigue sont là, ainsi que sa sœur frustrée par cette absence. Le jeune homme à l’anorak, se déclare l’ancien ami du nouveau jeune gouverneur et tente de se faire entendre, d’exister dans cette mini-société. Les esprits de Beckett et Kafka planent sur l’univers de Jean-Luc Lagarce, ce que François Rancillac accentue avec une direction d’acteur assez tranchée. Les noirs inondant le plateau entre chaque échange ou saynète, collent parfaitement à l’écriture parcellaire de Jean-Luc Lagarce : ce procédé accentue la mécanique répétitive, inéluctable. En effet, malgré les explications fragmentaires, lacunaires entre les membres de la famille, ou les discours politiques absurdes des instances gouvernantes, malgré les mises en point ou les bilans, le sentiment est que les personnages, tous constamment sur scène, répètent indéfiniment les mêmes mots, paroles, comme dans une sorte de représentation éternelle et intemporelle. Les discours politiques scandés, puis coupés se vide de leur sens ; les institutions apparaissent bancales, les dirigeants autocentrés ; et les êtres désœuvrés. François Rancillac réussit à travers cette fable politico-métaphysique, oscillant entre le tragique et le comique, à nous ouvrir un champ d’identification.Retour à la Citadelle mar 5 et mer 6 fév à 20h, à l’Hexagone (Meylan)

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