Fantaisie meurtrière

Avec son double programme Stravinski présenté en fin de saison à la Rampe, le Ballet du Grand Théâtre de Genève juxtapose deux visions chorégraphiques opposées, mais tout aussi pertinentes l’une que l’autre. François Cau

Bon, ce n’est pas très orthodoxe de commencer un papier critique de la sorte, mais c’est pour votre bien. Le mieux pour apprécier ce double programme est d’y aller comme votre serviteur : dépourvu de tout renseignement sur le traitement des œuvres, réinterprétées avec talent par les deux chorégraphes Benjamin Millepied et Andonis Foniadakis. Maintenant, on ne va pas pouvoir s’empêcher très longtemps d’évoquer avec vous l’éclatante réussite artistique des deux propositions, avec force détails… L’enthousiasme suscité par le premier spectacle, Petrouchka, tient en grande partie à l’habile détournement de son postulat de base. Le triangle amoureux frivole et cruel, sis au cœur d’une représentation foraine de marionnettes, est ici transposé dans le cinéma muet. Une idée simple en apparence, mais qui s’avèrera redoutable de précision dans sa chorégraphie et sa scénographie. Le premier tableau de groupe embarque le spectateur dans un tourbillon festif et coloré, réminiscence des shows de Broadway avec son lot d’artifices scéniques irrésistibles et volontiers désuets. Les spectateurs se rassemblent dans la salle, le film commence. Le premier acte de l’histoire de Petrouchka est “projeté“, puis les personnages sortent de l’écran pour investir la scène – Benjamin Millepied déploie dans ce passage des trésors d’inventivité visuelle, et provoque illico l’adhésion indéfectible du public, qui regrettera juste de ne pas retrouver par la suite de séquences aussi fortes. Le chorégraphe souligne, en symbiose avec l’univers abordé, les aspects les plus outranciers et ironiques du ballet. Il se permet de transformer les deux amants rivaux en clones d’Harold Lloyd ou de Buster Keaton, les fait débouler dans la salle pendant les changements de décor, aligne les running gags efficaces mais, et c’est tout de même important, n’en oublie pas la danse pour autant. Son Petrouchka est un ballet aussi virtuose que ludique, dont les images nous habitent longtemps après la représentation.ApocalyptoAprès une telle frénésie scénique, on n’est guère préparé pour ce Sacre du Printemps épuré, chorégraphié par Andonis Foniadakis. Petrouchka s’achevait sur un tableau où une vingtaine de danseurs se partageaient avec fougue une scène bariolée, Le Sacre “débute“ par une demie heure de solo rugueux, exigeant, immersif et viscéral, dans un espace scénique composé de rideaux et de panneaux fixes. Sous-titrée “Tableaux de la Russie païenne“, l’œuvre expose, au gré de diverses danses rituelles et autres expressions de la fragilité et d’une sensualité quasi bestiale, le parcours cérémoniel d’une jeune fille sacrifiée par les siens selon la tradition. Le parti pris de Foniadakis sonne comme un retour aux sources, pour une pièce dont il va faire émerger les atours tribaux et resserrer les enjeux dramatiques autour de son exceptionnelle interprète principale, Yukari Kami. Quasi dévêtue, cette dernière parvient à exprimer toute la complexité des sentiments sous-jacents à cette pratique, et livre une performance hypnotique. Ce solo, de par sa durée et le dénuement de sa scénographie, requiert une attention particulière de la part du spectateur. Attention qui se verra “récompensée“ par un dernier acte où Yukari Kami sera rejointe par d’autres danseuses, et où de discrets artifices viendront imprimer au cortex de superbes visions crépusculaires. En définitive, ce programme Stravinski a l’immense mérite de vous offrir une soirée riche en émotions de toutes sortes, quitte à faire le grand écart entre deux réinterprétations atypiques et diamétralement opposées des œuvres originales. Programme Stravinski, par le Ballet du Grand Théâtre de Genève, avec Petrouchka et Le Sacre du printempsmar 6 mai à 20h, à la Rampe (Échirolles)

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