Des subconscients collectifs

Myth réunit quatorze performeurs exceptionnels pour un tableau mouvant drôle, extrêmement émouvant, et puissant. Entretien avec le chorégraphe et metteur en scène Sidi Larbi Cherkaoui. Propos recueillis par Séverine Delrieu

On est frappé par l’inventivité, les nombreuses interprétations possibles, le foisonnement de détails dans Myth, détails qui jamais n’écrasent les histoires individuelles. Comment avez-vous procédé pour construire un tel tableau ?Sidi Larbi Cherkaoui : Quand j’ai débuté, j’avais d’abord envie de travailler avec des danseurs que je connaissais depuis longtemps, des amis, et quelques nouvelles personnes. Elles étaient toutes d’une certaine manière des archétypes nécessaires, comme dans les cartes de tarot. Les cinq musiciens, les quatorze acteurs-danseurs ont pour moi une couleur très spécifique. Un personnage comme Alexandra est une figure de l’ombre, comme la lune. Le personnage de Sri, à l’inverse, est lumineux, comme un grand soleil. Je travaille toujours sur le yin et le yang, sur les contraires. Et à travers cela, ce qui m’intéressait, c’était les relations entre ces gens. J’avais une relation avec chacun, individuellement, mais j’étais très curieux de voir ce qui allait se passer chimiquement ou “alchimiquement” entre eux. Je parlais avec eux d’un univers qui est celui d’un purgatoire dans lequel les ombres sont des êtres vivants, où les ombres ont aussi de la matière. Même si le purgatoire, un concept médiéval du christianisme un peu bizarre - aller en enfer ou le paradis - a disparu des religions. En tout cas, c’est comme cela que je suis arrivé dans l’univers de Myth, comme quelque chose qui a avoir avec le subconscient, les désirs, les envies, les projections des gens. Et comment ils créent un univers de fantasmes qui est : qu’est-ce qui se passe quand je meurs, ou qu’est-ce qui c’est passé avant que je revienne à la vie ? Peut-être que ces personnages vont revenir à la vie, renaître et ils sont simplement en attente devant une porte.Les personnages gothiques, qu’on peut voir comme des projections, ramènent aussi à l’adolescence, cette période où l’on se questionne sur la mort.Totalement. Alexandra, a eu une période gothique et même moi, à 19 ans, je ne mettais que du noir après la mort de mon père. Je pense qu’il y a différents moments dans la vie : on peut être très solaire, puis lunaire. On trouve qui l’on est à travers tous ces archétypes. À l’intérieur de soi, on a tous une vieille dame, un jeune garçon, une intello, on a toutes ces couleurs, éléments qui sont dans Myth. Les personnages de Myth, on n’arrive pas forcément tous à les apprécier, mais on les a tous en nous. Et quand on arrive à les aimer, on arrive à s’aimer soi. Et quand on ne les aime pas, c’est souvent que ce trait-là nous agace chez nous. Cette scène entre celle qui est très rationnelle, à côté de la petite qui prie comme si elle voyait la vierge, on y voit ce rationnel qui essaie d’écraser la foi un peu aveugle, et du coup on les trouve toutes les deux folles. On se demande pourquoi il y a cette lutte. Moi, j’arrive à m’identifier aux deux : y a des moments, je me sens comme l’une puis comme l’autre et à d’autres encore comme ceux qui regardent autour. Oui, parfois on se sent témoin, parfois intérpeller comme étant le personnage, parfois on est la victime puis le bourreau.Les musiciens et la chanteuse Patrizia Bovi sont physiquement dominants sur le plateau et semblent les voix intérieures des personnages.Patrizia Bovi, joue l’ombre qui sait, elle est une sorte d’oracle qui vient raconter les choses en italien alors que les personnages ne comprennent pas cette langue (rires). Elle vient chanter des prophéties, elle leur dit : “vous savez, vous allez tous mourir”. Les musiciens font partie du décor mais comme un élément nécessaire, comme la bibliothèque, vestige de tout ce que nos ancêtres nous ont laissé, les encyclopédies, les squelettes – puisque c’est la seule chose qui reste des êtres humains -. Les musiciens sont là comme faisant partie de la mosaïque, de l’endroit même, et c’est vrai qu’il y a des voix, comme la cornemuse qui est la voix de Ulrica. Christine, c’était la viole. Et pour chaque personne, une sonorité.Myth du mar 12 au jeu 14 fév, à la MC2 (Grand Théâtre)

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