Espace d'utopies

entretien / Geneviève Lefaure, Directrice de l'Espace 600 depuis une dizaine d'années, a insufflé une direction jeune public à cette salle implantée au cœur de la Villeneuve. Orientation nourrie de réflexions et d'un regard nouveau porté sur l'enfance. Rencontre avec l’initiatrice de ce projet et lieu à part en Rhône-Alpes. Propos recueillis par Séverine Delrieu

À l'Espace 600 vous valorisez le théâtre contemporain destiné à la jeunesse. Outre le fait que souvent les protagonistes sont des enfants, y a-t-il d'autres spécificités à ce théâtre, et au fond, n'est-ce pas tout simplement du théâtre ?Geneviève Lefaure : Le théâtre jeune public est forcément contemporain, puisque son histoire a débuté il y a peu. Son émergence est liée à la conception que l'on a de l'enfant. Avec des gens comme Françoise Dolto on voit émerger l’idée que l'enfant est une personne, que des paroles lui sont particulièrement adressées. Ce qui est ressorti le 21 janvier du colloque Ce n'est pas pour les enfants ! Quel(s) théâtre(s) pour quels enfant(s) (qui a réuni 200 personnes, directeurs de salles, comédiens, animateurs, enseignants à l’Espace 600, NDLR), c'est que le théâtre jeune public n'est pas spécifique dans sa forme, pourtant particulièrement inventive. C’est tout simplement du théâtre, mais, comme le dit Christian Duchange, avec"un cercle d’attention qui passera par l’enfant". Est-ce que l'une de ses spécificités serait que la ou le protagoniste est un enfant, un ado ?Avec le théâtre jeune public et son répertoire l’enfant entre en scène. Avant il n’apparaissait que comme un enjeu (le fils d’Andromaque, les enfants de Médée…). Aujourd’hui il est le “ héros ” de l’histoire qui se raconte sur le plateau mais il reste cependant minoritaire aux côtés des protagonistes adultes. Une enquête récente sur la parité dans le spectacle jeune public révèle que cet enfant est en grande majorité un garçon ! ! On note dans vos programmations un compagnonnage fort avec certaines compagnies. Une construction a lieu avec elles, mais aussi du coup avec les publics. Depuis plus de 10 ans, presque chaque année nous accueillons une nouvelle création de la Compagnie l'Artifice : Crasse Tignasse, le Grand Ramassage des Peurs, Lettres d’amour de 0 à 10, L’Ogrelet.... Cette année, Crasse Tignasse revient. Les adultes l’attendent avec impatience. Pour les enfants, ce sera la première fois. Le public de l’Espace 600 est donc bien familier de cette compagnie. Mais il s’agit forcément du public adulte. Les enfants des premières créations ont aujourd’hui près de 20 ans... Un compagnonnage, c'est une complicité avec une écriture scénique, avec les partis pris d'un metteur en scène, avec une parole artistique.L'accompagnement de l'enfant vers la création contemporaine apparaît vraiment complet, loin d'une démarche de consommation. Vous semblez vous être toujours battue pour cela et aujourd'hui, il semble qu'il y ait une prise de conscience.Quand ce projet de l'Espace 600 est né, l'école du spectateur s'est créée aussi. Pour moi, il n'était pas question que les enfants et les adultes viennent consommer du spectacle. L'enfant doit devenir l'acteur de sa vie culturelle. Pour cela, il doit être conscient. L'accompagnement ne consiste pas uniquement à le préparer au spectacle, mais aussi à l’aider à comprendre que venir au théâtre est un geste qui a du sens. C'est le sensibiliser au fait qu’il sera là avec d'autres enfants et adultes, pour participer à un moment important, qui n’aura lieu qu’une fois, pour lui et tous ceux qui sont dans la salle. La préparation rendra l'enfant plus réceptif, mais le retour sur le spectacle lui permettra de développer son esprit critique. Il ne s'agit donc pas pour lui d'avaler la parole qu'il entend sur un plateau de théâtre, mais de comprendre pourquoi cette parole résonne en lui ou ne résonne pas. Et de trouver les mots pour formuler, dire dans son propre langage ce qu'il vient de vivre. D'où l'importance de la parole et de la parole contemporaine. La parole qu'il va entendre c'est une parole d'aujourd'hui, pour lui, dans l'instant qu'il vit. Il s'agit de former le citoyen d'aujourd'hui, qui vit maintenant, en l'aidant à forger sa personnalité, à découvrir son identité, à donner sa réponse au monde.Les ateliers théâtre enfants et adultes de l'Espace 600 procèdent de la même démarche ?Oui, d’ailleurs, on vient de vivre quelque chose de très fort avec Sylvain Levey (NDLR jeune auteur jeunesse), qui était en résidence la semaine dernière. Il a déambulé dans la Villeneuve, regardé, noté, observé, parlé, écouté, cherchant à découvrir les traces d’une utopie, thématique de la saison. Puis il a travaillé tout un week-end avec les ateliers d’enfants et d'adultes réunis à l’Espace 600, à partir de ses impressions et de ses écrits. Et le dimanche ensemble ils nous ont donné une lecture publique. Je dis cela pour montrer que l'écriture contemporaine est vivante. C'est ce qu'on voulait transmettre aux enfants : dans les textes entendus, l'écriture part de là, de maintenant. On entre dans un processus de création. Toutes ces découvertes sont possibles grâce aux enseignants, comédiens, parents qui sont de véritables partenaires, impliqués et responsables, qui font de la cause des enfants un enjeu d’adultes pour reprendre les mots de Françoise Dolto cités lors du colloque.Que pensez-vous des CDN et des Théâtres Nationaux qui programment des spectacles pour le jeune public et de l'accompagnement qui est proposé ?Je trouve cela formidable que le théâtre jeunesse soit programmé dans les Théâtres Nationaux, et j'aimerais qu'il le soit dans tous les théâtres. Mais oui, on ne peut accueillir un public enfant comme on accueille des adultes. Il y a un accueil spécifique. L'enfant est a éduqué, on ne née pas spectateur. Mais je voudrais dire à ceux qui sont plutôt tournés vers le spectacle pour adultes, qu'ils n'aient pas l'impression qu'ils vont faire moins en termes de qualité et de geste artistique en programmant du jeune public plutôt que du spectacle pour adultes. Il ne faut pas non plus se sentir plus petit parce que l'on travaille pour les plus petits. Le spectacle jeune public doit rester exigeant artistiquement, dans le travail d'acteurs, le choix des auteurs. Le jeune public a innové sur les scénographies, sa capacité à mélanger les genres, sur l'objet, la marionnette. Et je pense qu'il ne faut pas qu'il perde cette force-là, mais qu'il prenne conscience, qu'aujourd'hui, il y a de vrais auteurs, de vrais metteurs en scènes et de vrais comédiens.

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