La vie en rosas

Zeitung (journal en allemand), le dernier spectacle de la chorégraphe belge Anne Teresa de Keersmaeker, est présenté comme une œuvre rétrospective. L’occasion de revenir sur plus de vingt ans de créations audacieuses et magnifiques, portées par la compagnie ROSAS. Renan Benyamina

En 1982, Fase, four movements to the music of Steve Reich constitue un choc dans le paysage de la danse contemporaine. À tout juste 22 ans, Anne Teresa de Keersmaeker impose un style inimitable, loin des modes, entre une théâtralité héritée de Pina Bausch et un minimalisme inspiré de la danse postmoderne américaine. La jeune danseuse, après avoir été formée à l’école Lilian Lambert puis à Mudra (l’école de Maurice Béjart) à Bruxelles, revient en effet d’un séjour d’études à New York. Elle y a rencontré des chorégraphes comme Trisha Brown ou Lucinda Child, des compositeurs comme Steve Reich. Dès lors, sa recherche s’oriente vers une écriture formellement très précise : à partir d’un choix de motifs et de mouvements très réduit, d’un ou deux gestes de base, elle brode des variations, des amplifications, des répétitions jusqu’à produire une danse tout à fait hypnotique et fascinante. En 1983, elle crée sa propre compagnie, ROSAS, qui parcourt depuis les scènes du monde entier. Bach de la danse contemporaineL’un des motifs qui inspire la chorégraphe belge est celui de la spirale. Cela est tout à fait manifeste dans Fase, où la puissance du geste n’a d’égale que sa régularité, sa justesse. L’importance des formes circulaires, de l’idée de cycle traverse l’ensemble de son œuvre. Des cercles dessinés notamment par les bras, mais aussi par les autres membres du corps qui sont en général pensés et travaillés indépendamment les uns des autres. La danse de Anne Teresa de Keersmaeker est mathématique ; elle s’est toujours entourée de brillants musiciens, qui appartiennent notamment à l’ensemble bruxellois Ictus. Avec eux, elle analyse très précisément les partitions des musiques sur lesquelles elle souhaite travailler, puis en dégage des règles de composition, qu’elle applique ensuite à la danse. Ce formalisme fait dire à Philippe Guisgand, spécialiste de son œuvre, qu’elle est la «Jean-Sébastien Bach de la danse contemporaine». Elle-même considère que la musique est son maître. Un maître qu’elle aime et qu’elle soumet, lorsqu’elle s’attaque à des partitions réputées intouchables comme la Grande Fugue de Beethoven. Elle s’est par ailleurs frottée aux œuvres de Monteverdi, Bartok, à des morceaux de Jazz (avec son grandiose Bitches Brew, inspiré du légendaire album de Miles Davis), à Joan Baez (pour son magnifique solo Once)…TransmissionDans Zeitung s’entremêlent des partitions de Bach et de Webern, jouées en alternance ou bien imbriquées. Une audace pour un spectacle qui, toujours selon Philippe Guisgand, pourrait être un moment charnière dans la carrière de la chorégraphe : «Avec des contraintes formelles comme d’habitude énormes, l’improvisation semble occuper de plus de place dans son travail et produit de nouvelles morphologies». Un espace plus important accordé à l’improvisation, qu’investissent de nouveaux danseurs qui ont rejoint la compagnie, pour beaucoup après leur formation à P.A.R.T.S. PARTS, ou Performing Arts Research and Training Studios (Studios d’entraînement et de recherche en arts de la scène), c’est l’école qu’Anne Teresa de Keersmaeker a créé en 1995 à Bruxelles. Vania Vaneau, danseuse au Centre chorégraphique national de Rillieux près de Lyon, a suivi les cours de PARTS. Elle a choisi cette formation pour sa pluridisciplinarité ; en effet, outre les cours techniques de danse, des enseignements de théâtre, de sciences humaines, de musique y sont dispensés. Pour elle, qui a dansé avec Wim Wandekeybus et qui travaille aujourd’hui avec Maguy Marin, la formation à P.A.R.T.S s’est avérée parfaitement adaptée à l’air du temps. Ce n’est pas un hasard si l’école a formé certains des interprètes les plus brillants de la scène contemporaine, comme Sidi Larbi Cherkaoui, Erna Omarsdottir ou Lisbeth Gruwez que l’on voit régulièrement chez Jan Fabre. Une volonté de transmission essentielle pour Anne Teresa de Keersmaeker, qui explique peut-être aujourd’hui sa volonté de livrer aujourd’hui ce «Journal».

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