La foire aux atrocités

La Saillie donnera les premières représentations locales de son Macbeth cette semaine au Grand Angle de Voiron. Le prétexte idéal pour revenir sur le passif de la compagnie et de son metteur en scène, Pascal Mengelle. François Cau

Il y a maintenant cinq ans, on avait plutôt été surpris de voir arriver Pascal Mengelle à une projection des deux Tetsuo de Shinya Tsukamoto, au beau milieu d’une assemblée de sympathiques geeks avides de sensations fortes. Le temps de se familiariser avec le théâtre de la compagnie La Saillie, on comprit qu’il n’y avait rien de fortuit : l’intégralité de son répertoire est animée par une recherche permanente sur le corps, comme conducteur des passions charnelles incontrôlables, comme excroissance souvent monstrueuse et contradictoire d’une parole triturée à satiété pour mieux en démontrer tous les pièges (le metteur en scène rendra d’ailleurs un discret hommage à Tsukamoto avec les machines invraisemblables de Supplices & autres Délices). Ce n’est pas non plus un hasard si Pascal Mengelle s’est dans un premier temps intéressé à la danse butō, la danse des ténèbres nippones où des interprètes généralement nus, le corps badigeonné de peinture blanche, extériorisent leurs frustrations à travers une chorégraphie syncopée, malaisante dans son expressionnisme outré. Pour son premier spectacle, en 1996, La Saillie se réapproprie ces données, investit l’espace urbain et nous dévoile un Festin satirique, mise en abyme de toutes les voracités humaines. L’année d’après, l’expérimentation sur le corps se poursuit avec P’tit coin, (très) libre adaptation de Samuel Beckett voyant deux personnages se mouvoir dans un espace cubique qu’ils n’auront de cesse de se disputer pour mieux s’aimer et se déchirer.Le texte en question
La parole ne constitue pas pour autant pour la Saillie un expédient dont on se débarrasse abruptement. Le but de la compagnie est au contraire d’explorer toutes les possibilités du langage, de le pousser dans ses derniers retranchements, à l’instar du maître “à panser“ de Pascal Mengelle, Antonin Artaud (dont il adaptera avec brio Le Pèse-nerfs et Van Gogh, le suicidé de la société). Quand ce dernier enregistre la version audio de Pour en finir avec le jugement de Dieu, référence incontournable de la compagnie, il est au zénith de sa géniale folie conceptuelle, et déstructure sciemment son texte avec grandiloquence, éructant, prenant une voix de crécelle puis un timbre de stentor, allant jusqu’à se rouler par terre (et à terroriser du même coup les techniciens de Radio France !). Le travail de la Saillie n’est pas très éloigné de cette radicalité, tend à livrer sa propre interprétation des textes abordés, par ailleurs toujours choisis avec pertinence. Que Pascal Mengelle et son équipe s’attaquent à Henri Michaux dans Créatures, à Kafka dans L’insatiable K, à Olivier Gadet dans Le Fredon, à Clarisse Lispector dans Materia Prima, le novice découvre non seulement des textes essentiels, mais se prend en pleine face leur lecture hautement personnelle, où cette matière première sera torturée avec raffinement, au gré de mises en scène poussant toujours plus loin le vertige sensoriel. Projections
Car la Saillie se fait également fort de repousser sans cesse les limites de l’espace scénique, notamment par une utilisation signifiante de la vidéo. Loin de se cantonner à un usage purement illustratif, les diverses projections émaillant les dernières créations de la compagnie donnent un corps déviant à la mise en scène, perdent le regard pour l’emmener dans des tréfonds insoupçonnés – l’apogée de ce processus étant sans nul doute à relever dans Jekyll / Hyde, sidérante extrapolation visuelle autour du fameux roman de Robert Louis Stevenson. Pour toutes ces raisons, on est donc foutrement impatient de découvrir le Macbeth de La Saillie, l’un des textes les plus violents et dérangeants de Shakespeare, d’autant qu’il se base sur la superbe traduction de l’émérite André Markowicz. On a hâte de découvrir comment Pascal Mengelle a intégré les figures du tyran et de son épouse à son bestiaire de monstres par trop humains. On a enfin très envie de découvrir la performance du metteur en scène dans le moyen-métrage à haute teneur dark et psychédélique Burn Paris Burn de la Youth industrY (la suite très attendue des Six Dreads de l’Enfer), où Pascal Mengelle tient le rôle d’un mystérieux producteur parisien… Macbeth
Mardi 9 et mercredi 10 décembre à 20h, au Grand Angle (Voiron)
Du 14 au 16 janvier à 20h, à l’Hexagone (Meylan)

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