"Sad Face / Happy Face" : voyage au bout de l'humain avec Jan Lauwers

Spectacles / Mêlant théâtre, danse et musique, la trilogie Sad Face / Happy Face du Flamand Jan Lauwers est le temps fort de la saison spectacle vivant grenobloise. Soit 6h30 d’émotion pure visuellement saisissantes, à même de réchauffer le cœur de n’importe quel insensible.

Il y a des spectacles qui font date. Ils marquent les esprits, restant durablement imprégnés dans la mémoire de ceux qui ont pu vivre ce moment exceptionnel. C’est le cas de La Chambre d’Isabella, présenté en 2005 à la MC2. Le public grenoblois découvrait alors l’univers passionnant du Flamand Jan Lauwers, et au vu du taux de remplissage de la soirée de reprise (la salle est pleine), on en déduit que les fans maîtrisent très bien la notion de bouche-à-oreille.

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Mais l’évènement n’est pas tant à chercher dans la seule reprise de ce spectacle, ni dans le fait que la MC2 propose, sur deux autres soirs, les deux dernières créations plus critiquables de Lauwers… Non, l’évènement se situe du côté de la journée du samedi : le public aura droit, sur un après-midi entier (de 15h à 22h30), à l’intégrale de la trilogie Sad Face / Happy Face, comprenant donc La Chambre d’Isabella, mais aussi Le Bazar du homard et le tout frais La Maison des cerfs.

Cette trilogie, digne des plus grandes épopées théâtrales, n’a jamais été vue dans son intégralité en France, hormis cet été au festival d’Avignon : une jolie prise pour la MC2, qui semble de plus en plus se lancer dans les grands coups – l’année prochaine sera ainsi repris le très commenté Un tramway de Warlikowski avec Madame Isabelle Huppert, pour ses seules dates en France hors Paris : classe !

Isabella et les garçons

Mais revenons en à notre ami Lauwers. Avec Sad Face / Happy Face, le metteur en scène, auteur et plasticien a mis en place un univers scénographique total, à travers trois volets très différents les uns des autres. La Chambre d’Isabella d’abord, le plus réussi de tous. Un véritable monument centré autour de la figure tutélaire de Viviane De Muynck, comédienne phare de la compagnie de Jan Lauwers.

Entourée d'objets ethnologiques africains, égyptiens ou précolombiens ayant appartenu au défunt père de Lauwers, elle campe une vieille femme aveugle qui évoque l’histoire de sa vie. Autour d’elle, tous ceux qui ont compté à ses yeux : ses parents, ses enfants, ses amants… Ceux qui sont toujours là comme ceux qui ont disparu : la réconciliation des morts et des vivants en somme. Tout se passe sur scène, chacun des interprètes restant sur le plateau, devenant tour à tour acteur, danseur ou musicien – la bande-son, jouée en live, est magnifique, prégnante… et vendue après la représentation !

C’est véritablement émouvant, Jan Lauwers communiquant ici un amour indéniable pour la vie : ça semble naïf dit comme ça, mais qu’importe, l’art sert aussi à procurer des émotions régénératrices, et La Chambre d’Isabella participe pleinement à ce cheminement cathartique. L’un des grands spectacles fédérateurs de ces dernières années, comme seuls Lauwers, Mouawad et quelques rares autres savent le faire.

Hypnose enchanteresse

Après la liesse suscitée par cette Chambre d’Isabella, véritable succès mondial, Jan Lauwers n’avait d’autre choix que de faire plus beau, plus fort, plus grand… Ou alors de partir totalement ailleurs. Ce qu’il fit avec Le Bazar du homard, proposition plus froide et abrupte, morcelée dans tous les sens, qui laissa sur sa faim plus d’un fan d’Isabella (on ne vit pas d’ailleurs cette proposition à Grenoble au moment de sa première tournée). Il y est question d’un homard qui finira sur la chemise d’un des clients d’un restaurant. Il se trouve que ce dernier avait décidé d’en finir : il a perdu un fils, et ne s’en remet pas. Nous non plus d’ailleurs, qui finissons paumés à la fin de la pièce qui part dans tout un tas de directions pas toujours faciles à suivre.

Et puis il y a La Maison des cerfs, dernier volet de la trilogie dévoilé cet été à Avignon. Une fable aux penchants Walt Disney sur des êtres en dehors du monde, née d’un fait divers tragique ayant touché l’une des interprètes de la compagnie. La création est d’une générosité extrême, même si elle laisse l’impression de filer entre les doigts de son créateur, qui semble ne plus savoir comment s’en sortir…

Si les deux spectacles ayant suivi La Chambre d’Isabella ont ainsi tous deux déçu à leur manière, ils n’en restent pas moins des œuvres bluffantes. Assemblées, elles donnent à voir une fresque réjouissante sur la condition humaine, même si derrière le pastel se cachent des couleurs beaucoup plus sombres. La trilogie de Lauwers, aussi bavarde qu’elle puisse être à certains moments (notamment dans son dernier volet), plonge ainsi le spectateur dans un état d’hypnose enchanteur, notamment grâce au travail plastique phénoménal de Lauwers, et à sa compagnie composée d’interprètes remarquables.

Sad Face / Happy Face
Samedi 20 mars à 15h, à la MC2.
Chaque spectacle est visible séparément : La Chambre d’Isabella le mardi 16, Le Bazar du homard le mercredi 17 et La Maison des cerfs le jeudi 18

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