La méthode D'ores et déjà

En deux spectacles, tous deux programmés à la MC2, le collectif D’ores et déjà a imposé son nom et sa patte dans le monde très codifié du théâtre. Avec une vision décomplexée de cet art on ne peut plus vivant entre leurs mains. Aurélien Martinez

Vincent Macaigne, Julie Bérès, le collectif D’ores et déjà… Il faut savoir s’enflammer avec fougue lorsque nous arrivent des propositions audacieuses et tranchées mises en branle par des artistes exigeants et novateurs. Des hommes et des femmes de théâtre qui redonnent de la splendeur à cette sphère dramatique actuelle composée d’excellents artisans prolifiques néanmoins peu enclins à la prise de risque – toujours les mêmes auteurs, les mêmes façons de procéder…

Car le collectif D’ores et déjà – puisque c’est de lui qu’il s’agit cette semaine –, fondé en 2002 par quatre amis (ils sont beaucoup plus aujourd’hui), a insufflé un vent d’air frais bienvenu sur les scènes hexagonales, d’où le succès critique et public assez impressionnant de Notre terreur, leur dernière création en date. Un succès notamment dû à leur façon de faire, fougueuse et intuitive. Explications de Samuel Achache, l’un des membres du crew : « À partir du Père Tralalère [créé en 2007], quelque chose de nouveau s’est enclenché. Une nouvelle façon de travailler, d’envisager le rapport au jeu, à la création, collective notamment. Un rapport différent à la construction de la narration, avec un processus de répétition par l’improvisation. »

L’art de la discussion

On pourra ainsi découvrir le collectif à Grenoble avec Le Père Tralalère et Notre Terreur. « Les deux spectacles sont nés de deux façons différentes, bien qu’il y ait des points communs. Pour Le Père Tralalère, au début, Sylvain [Creuzevault, le metteur en scène – NDLR] nous a proposé deux thèmes : la fuite des origines, et l’histoire du corps de la Renaissance à nos jours. On a créé des scènes, des images, on a fait aussi ce que l’on appelle des "haïkus scéniques" – des scènes qui durent le temps de le dire, comme des images. Pendant un mois, on enchaînait ce genre d’improvisations. Parfois, Sylvain nous soumettait de nouveaux thèmes, plus sous forme de phrases un peu énigmatiques – il appelle ça des "provocations". Au fur et à mesure, il a vu des choses se dégager, et il nous a alors suggéré une sorte de canevas : un dîner de divorce avec des grandes figures comme le père, le marié, la mariée… Mais sans rien de véritablement défini. Et là, on s’est lancés dans une grande improvisation, d’à peu près 4 – 5 heures. Ensuite, on a beaucoup discuté. Le lendemain, on en a refait une… Et, en avançant de la sorte, l’ensemble s’est défini, construit, affiné… On a donc fait des choix : on avait comme un gros bloc, dans lequel on a taillé pour dessiner le spectacle. » En résulte une création dotée d’une trame, néanmoins sans texte écrit. « Pourtant, je ne suis pas sûr que l’on puisse encore parler d’improvisation, même si l’on change les mots. Le récit, lui, ne s’improvise pas. »

Injonction

Qu’en est-il alors de Notre terreur, où la question de la sphère privée (la famille) a été remplacée par celle de la sphère publique (l’Histoire) ? « Le processus révolutionnaire questionnait Sylvain depuis longtemps. Il s’est passé des choses dans la compagnie après Le Père Tralalère, dont l’abandon d’un projet au bout de trois semaines. Quelque temps plus tard, Sylvain nous a proposé de partir sur le sujet de la Révolution – après tout ce qu’il y a eu au sein du collectif, il s’est sans doute dit que c’était le moment d’arriver avec ce thème-là. Il voulait que l’on travaille sur les trois derniers jours de Robespierre, même si au fil des répétitions, ça s’est élargi – car pour comprendre ces trois derniers jours, il fallait remonter bien avant. »

Le mode de création a forcément dû être différent, ne serait-ce que pour l’exactitude historique ? « Sur Notre terreur, il n’y avait pas plus de canevas que sur Le Père Tralalère, même si on avait la période historique en référence – on a lu par exemple beaucoup de textes d’historiens… Sylvain a mené des improvisations autour du thème de la Terreur, de la Révolution, de son processus, de la naissance d’une république et de sa construction… Petit à petit, l’action dramatique s’est recentrée autour du Comité de salut public et de ses travaux. » Le spectacle n’en devient pas pour autant un cours d’histoire mis en scène, bien au contraire. D’où notre conclusion, que l’on ne peut qu’affirmer de façon péremptoire : l’air de ne pas y toucher, le collectif D’ores et déjà fait du bien au monde du théâtre et, de façon plus large, au spectateur néophyte comme au blasé.

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