Le bateau ivre

THÉÂTRE/ Mi-avril, Jacques Osinki, directeur du CDNA, présentera deux pièces de l’auteur allemand Marius von Mayenburg, pour lesquelles il s’est entouré de deux comédiens passionnants et magnétiques : Jérôme Kircher et Denis Lavant. Rencontre avec le second, pour essayer de cerner au mieux cet artiste atypique fort en gueule. Propos recueillis par Aurélien Martinez

Si on ne l’avait pas déjà fait pour un article consacré à Dominique Pinon, on aurait pu titrer ce portrait de Denis Lavant "L’emploi de la gueule". Car l’homme de théâtre et de cinéma est de ces artistes entiers qui imposent immédiatement, que la production soit réussie ou non, un physique, un jeu, une énergie. Une présence qui se remarque d’emblée, même si l’homme est dans tout autre chose que la recherche d’une certaine contemplation narcissique de sa personne par un public médusé (à l’image, par exemple, d’un Fabrice Luchini constamment sur le fil). Il suit plutôt sa propre logique : celle d’un «rapport forain au quotidien» empli de sincérité. «C’est comme ça que j’ai commencé à appréhender le théâtre, le jeu, quand j’étais lycéen. C’est même au-delà du théâtre. Pour moi, c’est un comportement poétique. Pas forcément excentrique ou en représentation constante, mais plus en rapport avec la vie, l’équilibre : être dans un rapport absolument ludique au quotidien. Faire marcher à fond l’imaginaire pour se soulager des contraintes comme… je ne sais pas… le métro par exemple ! Il est marrant d’imaginer que ce soit d’énormes skates. Et puis plutôt que de subir les chocs, s’imaginer sur une planche, comme si l’on faisait de la glisse [il se lève pour mimer ce qu’il raconte – NdlR] ! C’est donc une pratique continue d’un rapport physique et poétique au monde. Et évidemment, l’endroit où l’on peut l’exercer le mieux, c’est le théâtre».

«Je fais confiance au hasard»

Après avoir foulé en octobre dernier les planches de l’Hexagone de Meylan, dans un Roi s’amuse critiquable malgré sa prestation remarquable en Triboulet, Denis Lavant revient en terres iséroises à la grâce d’une seconde collaboration avec le metteur en scène Jacques Osinski, seize ans après leur première rencontre (sur La Faim, de Knut Hamsun). Un duo qui peut surprendre au regard de leurs parcours respectifs : quand Jacques Osinski s’inscrit dans une approche du jeu de ses comédiens sobre, maîtrisée et sans emphase (quitte à livrer des pièces désincarnées comme on a pu le constater certaines fois), le trublion Denis Lavant semble littéralement dévorer le plateau avec fougue, sans retenue. Même s’il avoue être un «malléable actif» demandeur d’un cadre auprès des metteurs en scène. «L’idée de retravailler avec Jacques m’a plu. Et le texte m’a tout de suite fait envie, même si je ne peux pas dire que j’ai tout compris à la première lecture !». Ils se retrouveront donc sur Le Chien, la nuit et le couteau, du jeune dramaturge allemand Marius von Mayenburg (39 ans), aussi metteur en scène et dramaturge du très grand Thomas Ostermeier. «Quand j’ai décidé de mo.»

«Rien n’est prémédité»

Denis Lavant a donc un parcours éminemment respectable. Niveau théâtre, il a bossé avec des très grands (Vitez, Lavaudant, Langhoff, Pradinas…). Mais au cinéma, hormis des collaborations mémorables avec Leos Carax («un véritable poète») ou Claire Denis, il reste cantonné aux seconds rôles. Ne regrette-t-il pas de ne pas (encore – il n’a que cinquante ans !) avoir eu une carrière de grand acteur populaire à la Depardieu par exemple ? «Vous employez le thème de carrière que je réfute totalement. Pour moi, rien n’est prémédité. J’ai l’impression d’être une sorte de bateau ivre, qui zigzague entre aussi bien une notoriété que des projets beaucoup plus obscurs. J’ai eu la chance de rencontrer des gens qui projetaient sur moi un imaginaire pas commun, d’où mon parcours. Mais il est vrai que je n’ai pas tendance à aller spontanément vers quelque chose de prestigieux, vers une reconnaissance absolue… Même si c’est tentant. Mais surtout, l’idée de chemin ascendant dans le métier – de commencer dans la rue, puis d’être au théâtre, de travailler avec des grands metteurs en scène, d’avoir ensuite accès au cinéma, puis de finir par une carrière à Hollywood –, ce n’est pas un ordre de valeur qui me parle. Ma liberté, c’est d’avoir une liberté de choix».

LE CHIEN, LA NUIT ET LE COUTEAU
Du mardi 12 au samedi 16 avril, à la MC2

LE MOCHE
Du mardi 19 au samedi 23 avril, à la MC2

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