Antoine Defoort : game boy

Les Soirées, mini festival de trois jours programmé par la MC2 (et coproduit par le Centre chorégraphique de Gallotta), fait cette année le « grand écart » en s’intéressant « à la danse curieuse ». Un thème assez large qui permet d’englober divers artistes totalement atypiques, dont le rocambolesque et passionnant Antoine Defoort, adepte de science, d’art contemporain et de jeu. Aurélien Martinez

Bienvenue dans le monde merveilleux d’Antoine Defoort, grand garçon bien dans son époque qui s’amuse à en déconstruire les soubassements avec la délectation de ceux qui, naïfs, font mine de ne pas y toucher. Car quand certains manient habilement le non sens pour installer des situations décalées, Antoine Defoort, lui, se refuse à toute abstraction irréelle. Son univers, aux fondations vieilles comme l’invention de l’être humain, est mathématiquement palpable, d’une logique à toute épreuve.

Enfant d’une génération qui découvrit progressivement les possibilités infinies offertes par la technologie, notamment dans ses rapports à l’art et la science, il se sert des matériaux qui l’entourent comme d’une pâte à modeler, pour matérialiser sur scène son paysage mental : celui d’un grand geek au parcours d’abord scientifique, puis finalement artistique (il est diplômé des Beaux-Arts), qui se dirigea rapidement vers la performance, devenant petit à petit la coqueluche de quelques programmateurs de théâtre et danse qui virent très justement dans le travail de ce Géo Trouvetou qui aurait avalé Marcel Duchamp, Darry Cowl et Bill Gates une approche, si ce n’est nouvelle, néanmoins originale.

Cuisine moléculaire

Antoine Defoort se sert donc des outils du spectacle vivant (un plateau face à un public consentant et stoïque) pour amener les spectateurs ailleurs, sur le chemin de la performance qui démonte petit à petit les codes de l’art contemporain. Ainsi, dans Indigence = Élégance, compilation de différentes prestations, il joue carrément avec la distanciation brechtienne : « montrer le travail de la représentation en train de se faire » comme il l’explique en direct à l’aide d’un schéma richement fourni.

En résulte un « traité abstrait du ricochet » (terme qu’il avait utilisé pour définir Cheval, une autre de ses créations que l’on avait pu découvrir il y a deux ans dans le cadre des Rencontres-i) composé de plusieurs tableaux : une reprise du thème de Psychose, une séance de calcul binaire, une leçon imagée sur la composition de l’atmosphère… Le tout défendu par Antoine Defoort lui-même, en maître de conférence tendrement gauche et pince sans rire, qui finit par devenir véritablement attachant en arrivant à créer une complicité non feinte avec la salle.

Retour à la case départ

Antoine Defoort se concentre ainsi sur « les choses qu’il aime bien faire ». Et concevoir des spectacles, aussi bizarroïdes soient-ils, est l’une de ses passions. En parallèle d’Indigence = Élégance, et toujours en s’appropriant cette fameuse « distanciation brechtienne », comme un gamin qui montrerait à tout bout de champ sa boîte d’apprenti chimiste aux adultes venus parler avec papa maman, il a pris le parti (avec ses complices Julien Fournet et Halory Goerger) d’expliquer à tous le processus nébuleux de création, notamment « les méthodes de production et les problèmes souvent épineux auxquels font face les équipes désireuses de « montrer un spectacle » ». Ok.

Mais comment rendre visible l’invisible ? Avec un jeu de l’oie grandeur nature évidemment (les dés sont géants), qui restera installé trois jours durant dans le hall de la MC2. Un « outil pédagogique ou propédeutique ludique », imaginé par un artiste qui se définit lui-même comme « ludopathe ». Des exemples de cases propices à des gages : « en arrivant, vous découvrez que la salle de répétion est à six kilomètres de votre logement, et qu’il faudra y aller en barque ». Ou encore : « votre coproducteur, le Théâtre de la Montagne, vient de reporter la première – dont il a l’exclusivité – pour la quatrième fois consécutive ». C’est drôle, efficace, et véritablement prenant, à l’image de l’univers d’Antoine Defoort en somme.

INDIGENCE = ÉLÉGANCE
Mercredi 25 mai à 19h30, à la MC2. Dans le cadres des Soirées.

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