Ceci est mon corps

À la MC2, le mini festival Les Soirées plurielles met cette année en avant la forme solo, avec six créations. Dont "Cédric Andrieux" de Jérôme Bel, sorte de « documentaire-portrait » sur le danseur du même nom mis en scène par l’un des chorégraphes français actuels les plus passionnants et atypiques. Aurélien Martinez

C’est une proposition originale qui clôturera la nouvelle édition du mini festival du Centre chorégraphique national de Grenoble et de la MC2 : Cédric Andrieux. Oui, un nom et un prénom en guise de titre : un homme de chair et d’os qui, de surcroît, est interprète sur scène. Surprenant comme parti pris... L’idée d’un tel montage est née un jour dans la tête de Jérôme Bel, chorégraphe quadra devenu depuis une quinzaine d’années la coqueluche des programmateurs français et internationaux (il sera cet été au Festival d’Avignon).  « En 2004, j’ai été invité à imaginer une pièce pour le ballet de l'Opéra de Paris. Je ne savais pas quoi faire, je ne comprenais pas ce qu’il se passait dans cette maison. J’ai alors eu l’idée de concevoir une pièce qui serait une sorte de documentaire sur l’une des danseuses de cette compagnie. » En découle le solo Véronique Doisneau, qui se focalise donc sur cette danseuse, sur son rapport à la troupe, au monde très codifié de la danse classique... Sur scène, Véronique Doisneau évoque sa vie, et notamment sa carrière professionnelle, en illustrant physiquement certaines étapes, rejouant certaines chorégraphies... « Le résultat était vraiment intéressant, et j’ai pensé que je pourrais faire d’autres documentaires-portraits sur d'autres danseurs, qui raconteraient d’autres choses. » Voilà pour le début de l’aventure, qui se poursuit ensuite avec Isabel Torres, ballerine du Teatro Municipal de Rio de Janeiro, ou encore Lutz Förster, du fameux Tanztheater Wuppertal de Pina Bausch.


« Un hommage, mais pas béat »

Enthousiasmé par ces différentes expériences, Jérôme Bel décide en 2009 de se consacrer plus particulièrement au danseur Cédric Andrieux, qu’il avait rencontré auparavant lors de la transmission de sa pièce The show must go on au Ballet de l’Opéra de Lyon, au sein duquel Cédric Andrieux évoluait. Le CV de l’interprète renfermait, à ses yeux, quelque chose de fascinant puisqu’avant d’arriver à Lyon, Cédric Andrieux faisait partie de la compagnie de Merce Cunningham, cultissime chorégraphe américain mort en 2009. Cédric Andrieux peut donc être vu comme un hommage au maître ? « Oui, je ne travaille qu’avec des danseurs qui ont travaillé avec des chorégraphes intéressants. Merce n'a jamais vu le spectacle, alors que c’était fait pour ses 90 ans. Quand nous avons joué à New York, tous ses proches étaient dans la salle, ils m’ont dit que Merce aurait adoré. C'est un hommage, mais pas béat, il critique, montre certaines limites du projet artistique de Merce. » Car Jérôme Bel arrive à parfaitement doser sa création, en acceptant que Cédric Andrieux livre sa vision forcément subjective de la danse, le tout mélangé à sa vie personnelle, sans pour autant en faire le fil conducteur. « C’est le côté professionnel de Cédric qui est au cœur de ce spectacle, la partie personnelle n’apparaît que si elle est liée à sa carrière de danseur. » Comme lorsque l’amour pèse dans la balance pour des choix de carrière décisifs, ou lorsque le mental rentre en contradiction avec le corps.


La non-danse, terme « complètement tarte »

Pendant 1h10, Cédric Andrieux, en jogging avec son sac et sa bouteille d'eau, revient donc sur son parcours de façon touchante et naturelle. Quand il en vient aux exercices de Cunningham qui l’ont fait tant souffrir, il les refait pour les spectateurs. C’est un corps de danseur sans fard que Jérôme Bel donne à voir ; mais un corps habité, incarné. On n’est alors pas dans l’exercice de la conférence didactique, bien au contraire : c’est véritablement un spectacle qui se joue sur le plateau. Un spectacle imaginé par un chorégraphe qui a vite été rangé dans la catégorie de la non-danse, terme à ses yeux « complètement tarte qui ne veut rien dire ». Car la démarche de Jérôme Bel, ouvertement pop de par son ancrage dans l’histoire de l’art contemporain au sens large, est fortement imprégnée des questionnements qui ont traversé les dernières décennies, comme celui de la performance, ou encore la notion même d’auteur (très présente dans le pop art). Ainsi, Jérôme Bel n’a jamais véritablement écrit un mouvement de danse, la seule danse visible dans ses créations comme Cédric Andrieux étant celle d’autres. Ou une danse qui n’en est pas une diront les puristes, résultat simplement des mouvements naturels d’un corps vivant.

 

I Like to Move It

Cette approche, Jérôme Bel l’a notamment mise en pratique dans The show must go on, son œuvre phare de 2001, devenue depuis un incontournable de la danse contemporaine qui tourne dans le monde entier – et qui suscite des réactions très tranchées de la part des spectateurs. « Cette pièce, n'importe qui peut la danser, même Jean-Marie Le Pen à la limite ! » nous avait-il déclaré en 2007 lors de sa reprise par le Ballet de l’Opéra de Lyon. Sur scène, les vingt-huit interprètes du Ballet illustrent les paroles d’une vingtaine de chansons pop des Beatles, David Bowie, Céline Dion ou encore Lionel Richie. « I like to move It » nous affirme le duo de hip-house Reel 2 Real. Les danseurs le prennent aux mots, bougeant frénétiquement une partie bien précise de leur corps (une main, une jambe, un sexe...). La vie est d’une certaine couleur selon Édith Piaf. Soit, tout le monde sort du plateau, et la salle sera simplement éclairée en rose. « I’ll be watching you » entonne Sting dans son sirupeux Every Breath You Take. Les danseurs, immobiles, se mettent donc face au public pendant les quatre minutes que dure le titre. C’est ce passage que Cédric Andrieux a choisi de reprendre dans le solo que Jérôme Bel lui a écrit. « J’étais absolument contre, je ne voulais pas, il le voulait. Nous en avons beaucoup parlé, et il a su me convaincre que cette scène était importante pour lui. Effectivement, grâce à ce passage, un basculement très important a lieu dans le spectacle. » Et c’est justement l’un des moments les plus forts de Cédric Andrieux, d’une simplicité remarquable, qui confère une émotion différente de la version originale – Cédric Andrieux est cette fois-ci seul face au public. À la sortie du théâtre, on n’a envie que d’une chose : voir (ou revoir) The show must go on, encore en tournée onze ans après sa première date. La pièce est toujours inédite à Grenoble, mais peut-être qu’un jour...


THE SHOW MUST GO ON


Cédric Andrieux
, vendredi 8 juin à 19h30, à la MC2. Dans le cadre des Soirées plurielles, du mercredi 6 au vendredi 8 juin.

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