Le grand débâchage

Festival d’Avignon (5) / Markus Öhrn, Marie Rémond et Lapsus

À Avignon, le théâtre s’est emparé du sport. Une fois de plus, bien lui en a pris. Marie Rémond, issue de la formation du Théâtre national de Strasbourg, est devenue… André Agassi ! S’appuyant sur la biographie du champion de tennis, elle fait en 1h15, et avec deux autres comédiens, un portait au vitriol des enfants programmés à être les meilleurs au détriment de leurs envies. Agassi ne voulait pas être le meilleur de sa catégorie, ne voulait pas aller s’entraîner dans l’académie quasi militaire du coach gourou Nick Bolletieri, ne voulait pas se marier à Brooke Shields (ses agents se chargeront d’écrire des lettres d’amour à sa place !), ne voulait pas être chauve et portait une tignasse-perruque qui ont façonné son image de "kid de Las Vegas". Tout était dans la représentation. Comme au théâtre. Et c’est ce parallélisme que Marie Rémond rend avec justesse dans un travail remarquable mais pas aussi émouvant que les passing long de ligne d’un des plus grands artistes que compte l’histoire du tennis.

« Bücher »

Sinon, il est peut-être temps de laisser l’affaire Fritzl là d’où elle est n’aurait jamais dû sortir : la chronique des faits divers. En 2008, Elisabeth est libérée après 24 ans d’enfermement. Son père la maintenait cloîtrée dans le sous-sol de la maison et la violait, engendrant sept enfants. Le scenario horrifique qui s’est déroulé à Amstetten en Autriche a fait le suc du dernier roman de Régis Jauffret, Claustria. Se posant en véritable démiurge sur l’affaire, l’écrivain marseillais tirait les ficelles de ce drame pour mieux se donner des airs d’auteur sans jamais respecter ni les protagonistes ni le lecteur et en baladant tout le monde. Au théâtre de Védène, le scandinave Markus Öhrn livre une version aride et bêtifiante de cette histoire. Pourtant tout commence intelligemment. Sur un écran posé à cour, est projeté le film d’un homme édifiant un mur. Entre gros plan sur la bétonneuse et empilement de moellons, nous sommes déjà dans l’angoisse générée par ce faits divers. Sur scène, tout est prometteur aussi : un plateau sur deux niveaux avec, au premier étage, une maison bien ordonnée là où vit en toute respectabilité Fritzl et son épouse officielle, puis, au rez-de-chaussée un espace bâché dans lequel on distingue des silhouettes. C’est là que se déroule l’action durant 3h. Tout ce qui s’y passe n’est vu que grâce aux retransmissions vidéos (plan fixe et mini caméra mouvante). De ce dispositif intuitif, Markus Öhrn ne fait rien. Il choisit délibérément de faire du père Fritzl non pas un bourreau qui pourrait s’avérer fascinant mais un homme un peu débile, un homme pas fini, balbutiant des onomatopées, répétant des dizaines de fois la même phrase, par exemple : « How do say book in german ? », ce à quoi un spectateur exaspéré crie la réponse « Bücher » faisant rire toute la salle. Car à force de jouer avec les nerfs et la patience de la salle, on craque. On comprend l’intention de Öhrn, mais le spectacle n’est pas regardable. Epuisant ou mortifère. Insipide in fine (enfin, de fin on ne verra pas, faute de persévérance ou par clairvoyance), ce spectacle est exactement pourtant ce que Öhrn voulait en faire. Frustré par les vidéos en art contemporain, il explique que « la durée est une des choses les pus existantes qu’offre le théâtre. Devant une installation dans un musée, je ne peux pas contrôler le temps de présence des gens. Le théâtre me permet au contraire de produire une temporalité particulière ». À laquelle on n’a pas résisté.

Pour 300 briques, t’as du cirque

Enfin, place au cirque. La région Midi-Pyrénées ne lésine pas sur les moyens en installant un grand chapiteau sur l’île Piot. Au menu sept spectacles du sud-ouest dont Six pied sur terre. La jeune compagnie Lapsus (dont nombre de circassiens ont fait leurs premières armes à l’école de cirque de Ménival de Lyon) n’a peur de rien, surtout pas de jucher leur seule élément féminin au sommet d’une tour de brique de bois ou de construire en moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire, une ville de building, toujours avec des briques de bois. Car ces grands joueurs ne manquent pas d’imagination et de dextérité avec des objets enfantins. Aux numéros attendus (porté, jonglage…), ils apportent en permanence du lien et une bonne dose de douceur via… des coquilles d’œufs. C’est en effet, un de leurs objets récurrents. Cachés par centaine dans un coffre aux trésors ou étalées au sol et soigneusement épargnées par la roue du monocyclist, elles sont aussi propices à devenir une espèce de poussières d’étoile quand l’un de membres de la troupe shoote dedans. D’un coup, le cirque atteint un niveau d’onirisme que l’on n’attendait pas et qui reste collé à la rétine. Ce sera à découvrir très prochainement à l’Atrium de Tassin la Demi-Lune (près de Lyon).

Nadja Pobel

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