«Se libérer de l'écriture»

Lambda, si quelqu'un aime le monde

TMG - Théâtre 145

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

Le collectif Moebius, dont on avait déjà pu apprécier le travail à plusieurs reprises, dévoile cette semaine au Tricycle "Lambda, si quelqu’un aime le monde", nouvelle création dont on attend beaucoup. Aurélien Martinez

En 2008, dans la Salle noire (qui, à l’époque, faisait partie du Théâtre de création, aujourd’hui Théâtre de poche), nous découvrions un jeune collectif nommé Moebius, avec sa pièce Les Atrides. Soit l’histoire de cette dynastie mythologique à travers des textes d’Eschyle, Euripide ou encore Sénèque rassemblés sur le plateau transformé en une sorte de ring de boxe (le public était placé autour). Le spectacle, énergique et généreux, avait de la gueule, les interprètes investissant littéralement la scène, avec cris et sueur. La proposition rencontra un petit succès, le Théâtre de création renouvela sa confiance à la compagnie (dont certains membres sont grenoblois). Cette dernière put alors dévoiler en 2010, toujours dans la même salle, Sans pères. Avec le même principe : un mix de différents textes (ici principalement des écrits de Tchekhov), desquels cette fois-ci seulement les personnages les plus jeunes avaient été extraits. Là encore, le résultat était efficace et solidement construit, même si l’on commençait à craindre un systématisme dans la façon de procéder (nous titrions notre critique « Emportés par la fougue »).

Qu’importe : ces deux pièces, interprétées avec conviction, laissaient chacune poindre une véritable envie de théâtre de la part de ce collectif qui restait pourtant plus ou moins proche des textes du répertoire, de peur sans doute de se perdre. Jusqu’à aujourd’hui, où l’affranchissement est total. Un pari risqué (l’avantage des grands textes du répertoire, c’est qu’ils ont toujours quelque chose à dire !), et donc audacieux.

« Écrire au plateau »

Mercredi 23 janvier, une semaine avant la première de Lambda, si quelqu’un aime le monde, on a donc rencontré Jonathan Moussalli, qui en assure la mise en scène (il n’y a pas de metteur en scène attitré dans la compagnie, les rôles tournant au fil des créations). Il nous a expliqué le cheminement qui les a tout naturellement conduits à se lancer dans l’écriture. « On vient d’une école [le Conservatoire de Montpellier, promotion 2008 – ndlr]. Comme comédiens, on a fait nos armes avec des grands textes, que par ailleurs on aime beaucoup. » Mais dès leur deuxième pièce, des questions se sont fait pressantes. « Plus on avançait dans la création, plus on se demandait : est-ce que finalement, on a encore besoin de Tchekhov ? On a alors envisagé la possibilité de se libérer totalement de l’écriture. Mais dans la compagnie, personne n’est à proprement parler auteur. Pour Lambda, on a donc dû trouver le moyen d’écrire au plateau, avec les comédiens. »

Une citation du metteur en scène et auteur Joël Pommerat, glissée dans leur dossier de presse, résume avec précision le cheminement accompli par la troupe. « Je pense aujourd’hui qu’on ne devient vraiment auteur de théâtre qu’en nouant très serré le travail de l’écriture du texte avec le travail de la mise en scène. Je pense que c’est une erreur de concevoir ces deux temps naturellement séparés l’un de l’autre. »

Tristesse contemporaine

Aujourd’hui, les Moebius affichent donc clairement leur souhait « d’ausculter la société contemporaine ». Ni plus, ni moins. « Notre désir était de travailler sur des solitudes. Après les Atrides et ces histoires de vengeances familiales, et Sans pères avec cette bande d’amis qui faisait la fête, on avait envie de partir de personnages qui ne se connaissent pas. Avec donc un travail sur la possibilité de la rencontre, sur ce que l’on cherche dans le rapport à l’autre, sur le fait que l’on puisse constamment passer à côté les uns des autres dans la vie. Tout ça dans le contexte d’aujourd’hui. » En se raccrochant donc à des paroles très contemporaines.

« Le philosophe Bernard Stiegler, dans un de ses livres, parle du cas précis de Richard Durn, qui a commis une tuerie à Nanterre en 2002, et dont les carnets intimes ont été retrouvés ensuite. On a décidé de reprendre nous-mêmes ces carnets, pour voir si nous pouvions en faire une parole de théâtre. » Des écrits, longuement analysés par Steigler, qui ont servi de point de départ à l’un des cinq personnages de Lambda, les autres étant nourris de récits différents (extraits de blogs, de lettres, de discussions...). « On voulait vraiment une parole non littéraire, qui vienne du réel. » Une façon de faire proche de celle de jeunes metteurs en scène-auteurs (on pense par exemple à Fabrice Murgia et à son Chagrin des ogres, basé entre autres sur l’histoire de Natascha Kampusch) qui, sur le papier, intrigue. Nous assisterons donc à la première représentation plein d’espoir. En espérant se prendre une claque.

Lambda, si quelqu’un aime le monde, du jeudi 31 janvier au samedi 9 février, au Tricycle / Théâtre 145

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