Julien Gosselin : « C'est sûr que "2666" n'est pas très gai ! »

2666

MC2

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Théâtre / Interview / Julien Gosselin, jeune metteur en scène qui nous avait subjugués avec sa vision des "Particules élémentaires" de Michel Houellebecq, revient aux affaires avec une nouvelle adaptation théâtrale d’un roman phare. Cette fois-ci le "2666" du Chilien Roberto Bolaño, grande fresque de plus de 1000 pages où se croisent divers personnages et intrigues sur fond d’apocalypse à venir. En découle un spectacle-fleuve (douze heures) qui se vit comme une aventure. Interview.

Après avoir adapté sur scène Les Particules élémentaires de Michel Houellebecq, vous vous êtes attaqué à un autre roman : 2666 du Chilien Roberto Bolaño. Pourquoi ce choix ?

Julien Gosselin : Avec Les Particules, j’avais l’impression d’avoir commencé un travail sur la transposition de la littérature romanesque sur une scène de théâtre. Je voulais encore me confronter à une littérature qui ouvre un maximum de portes, comme celle de Houellebecq. En cherchant quelque chose qui soit encore un défi pour la compagnie, quelque chose de puissant, de massif, je suis assez rapidement tombé sur Bolaño: quand j’ai lu 2666, j’ai eu comme un choc. J’ai trouvé ça à la fois très compliqué, pas du tout théâtral ne serait-ce que par l’absence presque totale de dialogues dans certaines parties, et en même temps j’ai eu très vite la sensation qu’il fallait le faire.

Les deux romans sont différents mais ont comme point commun d’être ancrés dans notre époque et de ne pas en livrer une vision très gaie…

Oui, c’est sûr que ce n’est pas très gai ! Et c’est important pour moi d’ailleurs que ça ne le soit pas. Je ne me vois pas pour l’instant monter une œuvre qui ne me laisse pas un fond de tristesse.

Et sur l’idée de monter des textes qui sont ancrés dans notre époque, c’est un choix conscient ?

C’est à la fois un choix et pas un choix parce que, là aussi, c’est mon penchant naturel. On doit monter des œuvres contemporaines sur les scènes de théâtre, ça me paraît être une nécessité absolue parce que, thématiquement, j’ai l’impression que ça parle mieux du monde : il y a des thèmes qu’abordent Houellebecq ou Bolaño qui ne peuvent l’être que dans une littérature contemporaine. Et puis parce que dans la langue, dans les choix poétiques de ces auteurs, il y a une réelle invention contemporaine.

Bolaño était un auteur atypique : un grand voyageur, mort à 50 ans, qui a laissé un roman inachevé – 2666. Comment présentez-vous l’homme aux spectateurs ?

Alors ça, pour tout vous dire, ça m’est complètement égal ! J’entends que les gens ont besoin de connaître l’auteur pour venir au théâtre… Mais si l’œuvre est géniale, quel est le problème ? D’autant plus que, dans mon travail, je m’intéresse assez peu à l’auteur. Par exemple, au moment des Particules, quand j’évoquais Houellebecq, les gens me parlaient plus de ce qu’il renvoyait physiquement sur les plateaux télé que de ce qu’il y a dans ses livres. Alors que ce sont deux choses très différentes ! Pour en revenir à Bolaño, le mythe comme quoi c’est un poète qui a vécu longtemps assez pauvre, qui a beaucoup migré, ça ne m’intéresse pas beaucoup !

2666 est un roman de plus de 1000 pages, que vous avez adapté sur scène en presque douze heures, entractes compris. Le spectacle crée du coup une temporalité spéciale pour le public, une sorte d’aventure collective…

Forcément, on ne peut pas se passer de ça quand on fait du théâtre. Je suis toujours ému quand je vois des spectateurs rentrer dans la salle pour vivre une expérience avec d’autres gens. Je suis même touché, et c’est pour ça que j’aime autant le théâtre : c’est le seul art où l’on a beaucoup de gens qui restent boire un verre après la représentation – alors qu’au cinéma par exemple, les gens se séparent plus facilement. C’est agréable, même si paradoxalement, je déteste l’idée de créer une expérience de vivre ensemble ; ça me dégoute un peu. Je n’ai pas l’impression de faire des spectacles qui produisent une sensation collective très forte mais plus du ressenti très individuel… Mais tant mieux si ça crée une expérience collective, des liens bizarres entre les spectateurs !

Dans 2666, encore plus que dans Les Particules élémentaires, la scénographie est impressionnante et, surtout, semble être pour vous un outil qui vous laisse le champ libre…

Quand on fait les scénographies, je n’ai pas envie qu’elles aient un sens, qu’elles donnent des clés de compréhension de l’œuvre. Je veux juste que ça soit un objet qui permette un maximum de choses, qui permette d’ouvrir un maximum de portes. Pour aller plus loin – et je vais caricaturer un peu : avec cette scénographie, comme avant avec celle des Particules élémentaires, je pourrais monter vingt ou trente spectacles différents ! Mais bon, ce ne serait pas forcément très intéressant !

Vous êtes jeune (vous aurez 30 ans cette année) et avez connu un début de carrière fulgurant, avec deux de vos premières pièces présentées et acclamées au très sélect Festival d’Avignon. Ça ne vous donne pas le vertige ?

C’est sûr que c’est très bien, j’ai pu faire ce que je voulais… C’est très positif pour la compagnie, les spectacles sont vus, on les tourne, on peut en créer de nouveau : c’est une chance phénoménale. Mais vous me prenez à un moment où je me demande ce que je vais pouvoir faire après… Car comme nous avons eu un succès très rapide et relativement jeune – et je dis "nous" car c’est vraiment une aventure collective qu’on vit tous ensemble, je ne fais pas le faux modeste –, il faut se construire avec ça autrement que sur un désir de réussite et de succès. C’est à la fois déroutant et plaisant.

Du coup, quels sont vos projets pour la suite ?

Je n’en sais rien… Je vais peut-être faire une série télé, peut-être un spectacle l’année prochaine… Je laisse les portes complètement ouvertes ! La seule chose que je peux vous dire, c’est que j’ai envie de prendre du temps. Entre Les Particules élémentaires et 2666, il y a par exemple eu trois ans. C’est rare dans le théâtre.

2666
À la MC2 samedi 14 et dimanche 15 janvier de 11h à 23h environ (avec quatre entractes)

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