Nasser Djemaï : « Je crains qu'après cette crise, la culture soit la dernière roue du carrosse »

Théâtre / Alors que le pays est en plein confinement, nous avons décidé de nous intéresser au sort des professionnels de la culture. On a donc passé plusieurs coups de fil, dont un au metteur en scène et auteur grenoblois Nasser Djemaï qui avait cette saison trois spectacles en tournée dans toute la France, dont sa dernière création "Héritiers". Haut-parleur et dictaphone allumés (télétravail oblige), c’est parti.

CComment, en tant que metteur en scène et auteur, vivez-vous cette période de confinement pendant laquelle vous ne pouvez plus montrer vos spectacles ?

Nasser Djemaï : Comme pour beaucoup de monde, ce n’est pas simple, d’autant plus que j’ai aussi une troisième casquette qui est celle du producteur. Cette saison, la compagnie avait trois spectacles – Héritiers, Vertiges et Invisibles – sur les routes, avec environ 70 dates. Ces spectacles devaient s’équilibrer financièrement avec la tournée, mais forcément, avec pratiquement un tiers de dates en moins du fait de la situation actuelle, ça va être compliqué…

Les dates de tournée prévues en mars, avril ou mai ont été annulées ou reportées à la saison prochaine ?

Certains théâtres essaient de reporter – c’est le cas par exemple du Théâtre de la Croix-Rousse à Lyon, qui a déjà inscrit Héritiers à sa prochaine saison comme nous n’avons pas pu le jouer en mars. Mais c’est assez flou dans pas mal de cas, puisque personne ne sait vraiment combien de temps va durer cette crise. Donc le report, on essaie quand c’est possible – il faut aussi voir la disponibilité des acteurs –, même si la plupart du temps, ce sont des annulations pures et simples.

Ce qui doit avoir un coût pour la compagnie…

Là, on a plusieurs cas de figures. On a d’abord les gros théâtres, comme les scènes nationales, qui jouent plutôt le jeu en payant tout de même le spectacle ou en réglant au moins le cachet des artistes. Et puis il y a les lieux plus petits, comme les théâtres municipaux par exemple, qu’on a beaucoup de mal à joindre. Et quand on y arrive, on a des difficultés à faire valoir qu’on a des artistes, des techniciens ou encore des personnes en administration en bout de chaîne qui se retrouvent complètement sur le carreau. C’est vraiment des situations compliquées. On se parle entre artistes pour voir comment les uns et les autres font, mais pour l’instant, on est un peu livrés à nous-mêmes.

Tout ceci doit tout de même vous laisser beaucoup de temps pour écrire…

Oui, et c’est un peu vertigineux comme c’est du temps que je n’avais pas prévu – même si ma casquette de producteur m’occupe aussi pas mal pour, avec mon administratrice, pallier les différentes urgences financières. J’en profite donc pour lire, me documenter, et surtout jeter les bases d’un futur projet d’écriture.

Pour finir, comment voyez-vous le monde culturel sortir de cette crise ?

Ça me fait très peur car avant cette crise, on ressentait encore les répercussions de la crise financière de 2008 qui avait endetté l’État, un endettement qui s’était fortement répercuté sur les dotations des collectivités locales, qui elles avaient baissé leur soutien au monde culturel, et notamment aux petites structures qui forment le maillage le plus large en France.

Là, je pense que ça va être un véritable tsunami – il n’y a pas d’autre mot –, avec un État qui va encore plus s’endetter, qui va le faire peser sur les collectivités locales et, par ricochets encore une fois, sur le monde culturel – comme la culture est la cerise sur le gâteau et non la priorité, ce qu’on a malheureusement pu constater pendant la campagne des municipales. J’ai très peur pour les projets à venir. Tout le monde va être impacté, et je crains qu’après cette crise, la culture soit la dernière roue du carrosse.

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