Peace and crime

David Peace, le génial auteur de la tétralogie du Yorkshire, nous revient avec deux livres très différents : l’un, premier volume d’une série annoncée, autour du Japon de l’après guerre ; l’autre, intitulé 44 jours, sur le club de football de la ville où il a grandi : Leeds United. Rencontre avec un des maîtres du polar mondial, à l'occasion des Assises internationales du roman. Propos recueillis par Yann Nicol

Petit Bulletin : Dans Tokyo année zéro, vous situez votre intrigue dans une ville en reconstruction après la Seconde Guerre mondiale. L’occasion, pour vous, d’aborder deux thèmes qui vous passionnent : la défaite et la rédemption…
David Peace :
Entre deux livres sur l’équipe de football de Leeds United en 1974 et la ville de Tokyo en 1946, l’écart est immense. Mais dans les deux cas, comme dans les romans précédents, le point commun est effectivement la défaite. Tout le monde a pu connaître des défaites, et c’est dans ces moments que l’on en apprend le plus sur nous-mêmes. Quant à la rédemption, on ne peut pas dire qu’elle se réalise véritablement. Dans Tokyo année zéro, je voulais montrer que les gens cherchaient à mettre de l’ordre, à recouvrer leur identité. Mais ils ne font que rechercher la rédemption…Vous fondez à nouveau votre livre sur un fait divers criminel réel mettant en scène un serial killer. Comme si le crime était susceptible de caractériser la société dans laquelle il a lieu…
Même si j’ai écrit cinq livres sur les serials killers, je dois dire qu’ils ne m’intéressent pas du tout. Ce qui m’intéresse dans le crime, ce n’est pas de savoir qui l’a commis, mais pourquoi il a eu lieu. Dans la tétralogie du Yorkshire, je me demandais pourquoi de tels crimes avaient pu avoir lieu dans cette région et à cette époque, c'est-à-dire les années 70 et 80. Pourquoi pas ailleurs ? Il y a forcément une raison précise…
L’éventreur du Yorkshire était bien sûr très mauvais, mais il a pu commettre ses crimes en raison de l’état de la société, du contexte politique ou socio-économique. Dans Tokyo année zéro, c’est pareil. Le tueur propose de la nourriture et un emploi à ses victimes pour les piéger : cela n’est forcément valable que dans ce contexte précis… Je considère ces crimes comme une façon d’ouvrir une porte qui était fermée à clé, d’aborder l’histoire avec un grand H.Vous n’hésitez pas à montrer les deux faces du Japon, à la fois victime (les bombes atomiques) et bourreau (vis-à-vis de la Chine et de la Corée). Comment votre livre a-t-il été reçu par les Japonais ?
Il y a eu un gros travail de promotion autour du livre, qui a reçu un prix littéraire et qui s’est très bien vendu. On m’a souvent demandé comment moi, en tant qu’étranger, j’avais réussi à écrire ainsi sur les Japonais… Par rapport à la culpabilité des Japonais vis-à-vis de la Seconde Guerre mondiale, la réponse est simple : il n’y en a pas ! Il faut dire que la culpabilité est un concept plutôt chrétien. En anglais, on est toujours un peu paresseux et on a tendance à utiliser indifféremment les mots «culpabilité» et «honte» alors qu’ils n’ont pas du tout le même sens. Je pense qu’il y a beaucoup de Japonais qui ressentent de la honte, mais certainement pas de la culpabilité…Parlons de 44 jours. Le football était présent en toile de fond dans certains de vos précédents romans, mais c’est la première fois que vous consacrez un livre à ce sujet. Le foot est-il aussi un révélateur social ?
Certainement. J’ai grandi à Leeds dans les années 70 et l’équipe de Leeds United était au cœur de toutes les conversations et de la vie même de la ville. Le football est évidemment un moyen d’examiner une époque, de décrire un contexte social. L’année que j’évoque dans ce livre, 1974, me semble être une année pivot durant laquelle l’histoire anglaise va basculer dans des changements dont nous vivons, encore aujourd’hui, les conséquences…Dans ce livre, vous évoquez le passage de Brian Clough à la tête de l’équipe de Leeds United. Ce personnage réel, lui aussi bourré d’ambiguïtés, offre un matériau romanesque de premier ordre…
Au départ, je voulais écrire l’histoire du club de Leeds United, puis j’ai écris sur la période où Brian Clough a accepté d’entraîner ce club qu’il détestait. Plus je faisais des recherches sur lui, plus je me disais que ce personnage était un cadeau inespéré. Il a pris une place de plus en plus importante dans le livre, car j’étais fasciné par les contradictions de sa personnalité. Brian Clough est mort pendant l’écriture du livre : beaucoup de gens m’ont dit que je le trahissais en montrant ses mauvais côtés. D’autres, au contraire, ont pensé que je lui rendais un véritable hommage et que je renforçais ainsi l’admiration qu’on pouvait ressentir à son égard…Le foot a créé de nombreux personnages très romanesques, comme George Best, Paul Gascoigne ou Maradona. Pensez-vous qu’il existe encore des héros aujourd’hui ? Êtes-vous de ceux qui pensent que le football est en train de perdre son âme ?
En 1974, mon père disait déjà que le football était en train de perdre son âme, que les grandes années étaient les années 50 avec Stanley Matthews et les Busby Babes de Manchester United. Aujourd’hui je dis à peu près la même chose à mon fils, en soutenant qu’Eric Cantona était bien meilleur que Cristiano Ronaldo. Vous me demandez si le foot est en train de perdre son âme. À mon avis, il n’en a jamais eu !Ces joueurs ont un destin de rock star. Pensez-vous un jour écrire un livre sur une icône du rock ?
Le parallèle est exact, puisqu’on projette sur les footballeurs ou les rock stars nos propres rêves et espoirs. Certaines rock stars, comme Johnny Rotten, Sid Vicious ou Ian Curtis, sont tellement fascinantes qu’elles feraient bien sûr d’excellents sujets pour un livre. Un jour j’écrirai sans doute un roman sur un héros du rock, et je pense d’ailleurs que ce sera David Bowie, qui me fascine particulièrement…

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