Les feuilles d'automne

Livres / Des valeurs sûres, des confirmations et des nouveaux venus prometteurs. Petit tour d’horizon des écrivains rhônalpins qui parviennent à émerger dans une rentrée littéraire où l’on retrouve de nouveau plus de 600 romans publiés. Yann Nicol

Dominée, au moins médiatiquement, par les romans de Marie NDiaye, Laurent Mauvignier ou Frédéric Beigbeder, la rentrée littéraire 2009 confirme une tendance entrevue lors des années précédentes : la place, de plus en plus importante, accordée à la publication de premiers romans qui, des Veilleurs de Vincent Message aux Nouveaux Indiens de Jocelyn Bonnerave en passant par Murmures à Beyoglu de David Boratav ou Bonheur fantôme, d’Anne Percin, sont (parfois) de bonnes surprises pour les lecteurs et de bons filons pour les éditeurs. La région Rhône-Alpes a elle aussi son lot de nouveaux venus avec notamment les livres de Camille Bordas (Treize desserts, chez Joëlle Losfeld) et des deux romanciers les plus en vue de cette rentrée, tous deux publiés chez Verticales, François Beaune et Noémie Lefebvre. Le premier n’est pas inconnu des Lyonnais, puisqu’il était le fondateur d’une revue «sous-réaliste», intitulée Louche, dont on vous a déjà parlé dans ces colonnes. François Beaune poursuit le travail entamé avec des numéros comme «Le dossier Gaëtan Barthélémy» dans Un homme louche, un roman ambitieux et inventif qui se présente sous la forme d’un journal intime, celui qu’a tenu un certain Jean-Noël Dugommier à deux époques de sa vie. Le premier carnet, écrit à l’adolescence, révèle le mal-être d’un jeune homme dont la timidité et la sauvagerie n’ont d’égales que l’intelligence et l’ambition. Au fil des croquis, notes, théories et autres occurrences qui composent son journal, celui que l’on surnomme «Le Glaviot» analyse, répertorie et juge le comportement de ses semblables (famille, voisins, amis) dans une sorte de folie lucide qui le mènera tout droit en asile psychiatrique. Le deuxième carnet, rédigé trente ans plus tard, emploie les mêmes méthodes pour faire le bilan d’une vie marquée par les deuils et les échecs et pour fonder une nouvelle théorie, louche, dont la bizarrerie permet une approche singulière, subversive, de notre société et de notre monde contemporain. La maîtrise avec laquelle François Beaune mêle la recherche formelle (voire expérimentale) et une écriture plus classique (création de personnage, profondeur romanesque, acuité du regard) est, pour un coup d’essai, assez impressionnante. Du classique et de l’audace
Plus ténu, le livre de Noémie Lefebvre (L’Autoportrait bleu) est aussi une bonne surprise. Il met en scène les pensées multiples d’une jeune femme de retour d’Allemagne qui, le temps d’un voyage en avion, va égrener ses souvenirs et ses «réminiscences». Assumant l’héritage d’un auteur comme Thomas Bernhard, ce monologue intérieur parvient pourtant à sortir du classique «courant de conscience» en ouvrant la parole et en affirmant un véritable univers où se superposent des thèmes divers : l’oppression sociale et familiale, les amours folles (et mortes ?), la musique, la littérature et le sexe. On ne peut être qu’admiratif devant une jeune écrivain qui parvient donc à écrire un premier roman à la noirceur typiquement bernhardienne tout en y insufflant une vitalité contagieuse. Alors que l’on célèbre les vingt ans de la chute du Mur de Berlin, on constate d’ailleurs que l’Allemagne est au cœur de nombreux romans de la rentrée, dont celui, très réussi, de Brigitte Giraud, dont on vous parle plus en détail ci-contre. Cette dernière fait figure de grande sœur, au même titre que d’autres auteurs publiés cet automne que les lecteurs fidèles retrouveront avec plaisir. Parmi eux, citons Pierre Péju et La Diagonale du vide (Gallimard), dans lequel l’auteur de La Petite Chartreuse met en scène la quête intérieure d’un designer qui décide de tout plaquer pour entamer une nouvelle vie dans la montagne ardéchoise, mais aussi Jacques A. Bertrand (Les Autres, c’est rien que des sales types / Julliard), dont l’humour n’a pas pris une ride, Franck Pavloff (Le Grand Exil / Albin Michel), Ananda Devi (Le Sari vert / Gallimard), Pierre Charras (Le Requiem de Franz / Mercure de France) ou Robert Alexis, qui poursuit avec U.Boot (chez Corti) une œuvre inclassable, entre classicisme de la langue et audace des sujets. Notons enfin que les éditeurs de la région se jettent dans la bataille de la rentrée avec beaucoup d’originalité : pour preuve, le nouveau livre d’Antoine Choplin (Apnées, à La fosse aux ours), entre réflexion sur la mémoire et jeu sur le langage et l’objet littéraire non identifié publié par Champ Vallon : Déluge, de Luc Boltanski, est un opéra illustré par des planches issues des comics américains de l’après-guerre dans lequel le sociologue met en scène le devenir de l’homme sur la planète. Ce n’est sans doute pas avec cela qu’ils entreront dans les meilleures ventes de la rentrée, mais le moins que l’on puisse dire est qu’ils ne manquent ni d’audace, ni de convictions…

à lire aussi

derniers articles publiés sur le Petit Bulletin dans la rubrique Musiques...

Lundi 5 septembre 2022 La librairie Michel Descours organise le dimanche 11 septembre un véritable petit festival littéraire avec des rencontres, des lectures, des signatures… (...)
Mardi 29 mars 2022 Prétendre que les auteurs de polar sont des éponges serait tendancieux ; poreux au monde ainsi qu’à ses turbulences semble une formulation plus exacte. Quant à leurs romans, ils ressemblent à ces carottes extraites par les glaciologues aux pôles,...
Mardi 15 mars 2022 C'est le type de petit festival que l'on adore et qui, lui aussi, fait son retour : Vendanges graphiques, à Condrieu, réunit le temps d'un week-end, (...)
Lundi 17 janvier 2022 Il y a The Old Firm à Glasgow (Celtic-Rangers), une quasi guerre de religion entre catholiques et protestants ; le Fla-Flu à Rio (Flamengo-Fluminense) qui a compté jusqu'à 200 000 spectateurs dans un Maracana (95 000 places) pour une fois étriqué ;...
Mardi 4 janvier 2022 S'il faut être prudent avec la recrudescence des cas de Covid, il est prévu que cette année, les grands raouts littéraires se tiennent de manière classique – comme on les aime. Avec, pour certains, des pré-programmations croustillantes.
Jeudi 18 novembre 2021 Nouveau brassage d'idées pour cette édition de Mode d'Emploi, porté par la Villa Gillet, autour des enjeux liés au journalisme et à la démocratie. En vedette : le journaliste américain William Finnegan, l'Historien Pierre Rosanvallon et...

Suivez la guide !

Clubbing, expos, cinéma, humour, théâtre, danse, littérature, fripes, famille… abonne toi pour recevoir une fois par semaine les conseils sorties de la rédac’ !

En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies destinés au fonctionnement du site internet. Plus d'informations sur notre politique de confidentialité. X