Le bien nommé

Entretien / Géry Moutier, à la tête du Conservatoire national supérieur musique et danse de Lyon (CNSMD de Lyon) depuis septembre 2009 en impose par son CV musical autant que par son étonnante humilité. Rencontre avec un musicien/pédagogue de haute qualité artistique doublé d’une élégante intelligence. Propos recueillis par Pascale Clavel

Petit Bulletin : Comment vivez-vous ces premiers moments à la tête du CNSMD ? Quels grands chantiers allez-vous entreprendre ?
Géry Moutier : Je connais bien le CNSMD de Lyon puisque j’y ai enseigné pendant 12 années, j’ai eu la responsabilité de chef de département et je faisais partie du conseil pédagogique. C’est très étrange mais pour le poste de Directeur, on ne pose pas une candidature, on est sollicité... J’ai beaucoup à apprendre du fonctionnement direct avec l’État, c’est passionnant parce qu’on se trouve au cœur même du sens politique d’un établissement. Être à ce poste-là, c’est un honneur et une grande responsabilité. Nous formons les artistes de demain. Il faut donc construire à la fois un présent riche et imaginer l’établissement dans son évolution sur une période assez longue en fonction d’un paysage musical en perpétuel mouvement. Je me demande souvent quels moyens je me donne pour que tout reste ouvert. Mes questions fondamentales sont orientées vers le domaine artistique mais également vers le plan culturel. Il faut savoir comment nous pouvons aller jusqu’à la vie réelle des gens.Aux yeux du grand public, le CNSM peut apparaître comme un laboratoire musical élitiste et mystérieux…
Les gens qui ne connaissent pas le CNSMD seraient étonnés de voir l’effervescence, la créativité et l’énergie de la jeunesse qui a la foi dans ce qu’elle veut défendre, porter, partager. Tout ce qui est du domaine de la haute spécialisation, de la maîtrise artistique, nécessite des ressources extraordinairement ciblées. La spécialisation pourrait mener vers un renfermement sur soi ou à un appauvrissement si elle n’était pas irriguée. À force d’être spécialisé, on peut très bien devenir inconscient du monde qui nous entoure. Dans le domaine artistique, c’est un paradoxe puisque c’est le domaine de la communication absolue. J’ai le souci permanent de faire prendre conscience aux étudiants qu’ils doivent prendre de la hauteur et de la réflexion. En dehors du fait qu’ils vont acquérir un savoir faire, une maîtrise artistique de qualité, ils doivent avoir une vision de leur propre travail mais aussi apprendre à le partager. On peut être génial dans sa bulle mais cela rejoint la stérilité. À l’inverse, on peut être très généreux et ne pas avoir tout à fait le socle, la solidité technique pour convaincre. Il faut les deux. Je me saisis pleinement de cette responsabilité. Les étudiants ne travaillent pas que leur discipline principale, ils ont un éventail de disciplines culturelles qui enrichissent leur réflexion, qui irrigue leur travail. Ces étudiants-là vont modeler le paysage culturel de demain. Si je ne leur donne pas l’envie, le désir, la curiosité je serai dans un échec de la mission. Allez-vous poursuivre les actions de vos prédécesseurs où allez-vous trouver un chemin plus personnel ?
Je ne sais pas si je veux tellement me singulariser. Il faut que je reste impérativement avec la substance musicale, pédagogique et chorégraphique. Ce poste de direction est exaltant, extraordinairement riche. Je suis issu d’une famille qui avait une inclination forte vers le domaine culturel mais aux moyens modestes. Je dois tout au fait que le CNSMD était un enseignement gratuit. J’ai l’impression de donner à mon tour et tout cela a beaucoup de sens. Dans la pratique, dans certains domaines, celui de la musique contemporaine en particulier, celui de l’improvisation comme celui de la création, j’ai un souhait très fort : je ne veux pas de petites unités qui n’aient pas de lien entre elles. La chance pour un étudiant ici, c’est que sa propre discipline artistique va se trouver enrichie par les autres disciplines. Il faut que la diversité des talents soit au maximum partagée. Pour un étudiant, c’est le moment des rencontres, des découvertes sur des cycles assez longs, trois à cinq ans, voire plus dans le cas d’un doctorat. Les étudiants doivent amener leur imaginaire, leur spontanéité, leur jeunesse tout simplement. Depuis que je suis ici, je sollicite toutes les initiatives étudiantes. Cela dit, on peut toujours avoir d’excellentes idées pour les étudiants, mais il ne faut pas que ce rouleau compresseur des bonnes idées empêche la spontanéité des étudiants et l’émergence des talents. On est quand même dans un domaine artistique, un domaine des sensibilités des individus. Si l’on veut que leur personnalité s’exprime, il faut trouver le juste équilibre.

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