Mythologie(s)

Portrait / Avec "Je suis pour tout ce qui aide à traverser la nuit", Fabio Viscogliosi donne un récit autobiographique fragmenté et poétique en livrant, façon puzzle, les clés de sa mythologie personnelle. Yann Nicol

L’année 2010 débute en fanfare pour le très éclectique Fabio Viscogliosi. Celui qui est aussi musicien (il a notamment collaboré avec The Married Monk et Yann Tiersen avant de produire deux albums solo), verra en effet son œuvre graphique et plastique mise à l’honneur lors du festival de BD d’Angoulême (du 28 au 31 janvier), avec une exposition, «Bye-Bye», dans lequel on retrouvera dessins, illustrations et objets en volume inspirés de certains de ses personnages de bandes dessinées. Dans le même temps, les éditions L’association rééditent trois de ses livres les plus emblématiques, parus au Seuil dans les années 90, dans un volume intitulé "Da Capo" qui regroupera "L’Œil du chat", "Du plomb dans l’aile" et "Morte saison pour les poissons". Une reconnaissance pour cet artiste hors norme, qui trouve encore le moyen d’explorer d’autres voies avec la parution d’un premier texte littéraire, Je suis pour tout ce qui aide à traverser la nuit, d’une très grande beauté. Le talent, décidément, appelle le talent…Coltrane, Magritte et les autres
Les 154 courts chapitres qui composent cet autoportrait convoquent des souvenirs, des réminiscences, des rêves, des divagations ou des sensations qui constituent les moments clés d’une existence, mais aussi ses creux, ses interstices, ses moments fugaces et insaisissables… Car ce que montre Fabio Viscogliosi avec beaucoup de finesse et de pudeur, c’est que les étapes fondamentales d’une vie ne sont pas forcément les plus spectaculaires et que les souvenirs qui restent sont le plus souvent de l’ordre de l’infime, voire du dérisoire : «Quelle différence entre deux journées de travail sinon une infinité de micro-événements – le béton qui résiste, un ongle qui se retourne, un petit buisson brouillon, les estomacs qui gargouillent, des rais de lumière sur une moquette, un écrou qui glisse dans le sable – ce dont on se souvient». Ainsi, les cols en V, les lasagnes, le premier combat de judo ou la BMW familiale prennent dans cette autobiographie kaléidoscopique autant d’importance que la relation au père, la découverte de la musique ou l’influence du cinéma. Une évocation des grands maîtres dans laquelle Fabio Viscoglisosi apporte son sens du décalage et de la singularité, en évoquant leurs influences de manière détournée et intime : les querelles backstage de Miles Davis et John Coltrane, le goût de Picasso pour les chauves souris, les chaussures de Buster Keaton, l’anticonformisme de Magritte, les rimes de Leonard Cohen, à qui il rend hommage en ces termes : «Les chansons de Leonard Cohen résonnent d’une étrange beauté cafardeuse. Elles m’évoquent pour toujours un paysage de pluie ou de neige. Leonard a le pouvoir de transformer le soleil en glace». Fabio a, lui, le pouvoir inverse.Connaissance par les gouffres
Car cet autoportrait, aussi lumineux soit-il dans les fugaces instants de bonheur qu’il décrit, porte en lui la mélancolie et la perte. Au fil de ces courts textes, apparaît lentement l’idée que ce qui relie ces événements est leur caractère éphémère, leur allure de paradis perdu. Jerry le merle, que le narrateur avait recueilli, est enterré derrière la haie. Eddie Cochran est mort depuis de longues années. C’est aussi le cas de John Lennon, de Pépé Carlo et de beaucoup d’autres. C’est surtout le cas des parents, disparus dans le tunnel du Mont Blanc un jour de mars 1999, et dont l’absence est au cœur du livre. Une ombre qui plane sur ces pages, à travers notamment l’évocation, poignante, de ce père plombier, immigré italien, avec qui le jeune Fabio fait des chantiers. Dans la représentation, aussi, de la fragilité de la vie et de la brutalité de la disparition, que Fabio met en scène dans un dernier chapitre, intitulé «Sous le Mont-Blanc» absolument bouleversant : «La Lancia a roulé quelques centaines de mètres encore, avant de disparaître définitivement dans le premier front de fumée», écrit-il à propos de cet accident tragique, avec une retenue et une simplicité qui font les grands livres. Nul doute que la poésie et l’écriture lui ont aussi permis de traverser la nuit…

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