Vendredi 10 juillet 2020 Avec son quatrième roman, Nina Hagen interprète Bertolt Brecht, l'auteur lyonnais Lilian Auzas poursuit une œuvre singulière qui se penche sur les destins de grandes figures féminines berlinoises. Et les délivre d'un certain nombre de malentendus.
Lilian Auzas : Anita année zéro
Par Stéphane Duchêne
Publié Lundi 10 septembre 2018 - 3924 lectures
Photo : © DR
Lilian Auzas
Musicalame
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Littérature / Pour son quatrième roman, l'écrivain lyonnais Lilian Auzas dresse avec grâce et retenue le vibrant portrait d'une figure légendaire et un peu maudite du Berlin des années 20 : la danseuse Anita Berber, à la fois reine de la nuit et fantôme de la liberté.
« Les affres de la solitude, l'habillent d'un chaud manteau et c'est en reine qu'elle avançait (…) De la grâce, même jonchée sur un talus de tristesse, elle en avait à revendre. Elle pouvait franchir le Styx et en revenir vivante. » écrit Lilian Auzas à propos du sujet de son quatrième roman : Anita Berber – le Lyonnais avait notamment écrit sur Leni Riefenstahl.
Et voilà posés en quelques lignes les contours de l'insondable mystère Berber que le peintre Otto Dix décrivait à la fois comme la « Joconde du XXe siècle » et la « putain écarlate de Berlin » - tout un programme.
Danseuse expressionniste scandaleuse et provocatrice, Anita est l'une des premières à danser nue quand Nijinski et Isadora Duncan osaient à peine découvrir leurs pieds, la première aussi à investir le champ de la performance, s'inspirant largement de son goût pour le sexe (elle est ouvertement bisexuelle) et la drogue pour nourrir les shows qu'elle met au point avec Sebastian Droste puis l'Américain Henri Châtin ses deuxième et troisième mari.
À la dérive
Si en 1925, année dans lequel s'ancre le récit, Anita est au sommet de sa gloire c'est peut-être parce qu'elle danse au bord de l'abîme, ou inversement : elle est séparée de Droste qui lui a tout pris et avec lequel elle formait un duo à tous égards stupéfiant et semble avoir de plus en plus de mal à assumer un destin à la Baudelaire – qu'elle admire tant – régi tout à la fois par les lois de l'attraction et de la répulsion qu'elle suscite chez autrui.
« Elle n'existe plus. Et des centaines de gens, déjà, veulent vivre à travers elle. Mais voilà, elle n'a plus le courage d'une jeune première ni la force des vedettes mythologiques (…) Anita Berber est en quête d'elle-même et ne se retrouve nulle part » écrit Lilian Auzas qui dresse ici, en trois actes entrecoupés d'interludes, le portrait sans fard mais bienveillant d'une icône à la dérive, écrivant comme dansait la dame : dans un corps à corps permanent entre grâce et liberté, poésie et trivialité (des pages magnifiques sur la liberté sexuelle).
Et c'est peu dire qu'on s'attache vite à cette femme que le monde trouve dépravée quand elle se contente d'être elle-même : sans concession, toujours encline à se mettre en danger, à rebours de l'hypocrisie d'une société allemande traumatisée par la Première Guerre mondiale et elle-même en pleine déliquescence.
Ce pourrait d'ailleurs être l'Allemagne de l'époque, prête à se vendre à l'ignominie, qu'évoque en creux Lilian Auzas lorsqu'il écrit à propos de celle que l'on surnommera "la danseuse de l'inflation" : « Anita a des allures de vamp décadente au regard vide. Elle semble figée comme une cariatide, mais non dans la pierre. Plutôt dans les flammes de l'Enfer. Celles-là même qui l'ont carbonisée comme une prostituée de Pompéi. »
Lilian Auzas, Anita (Hippocampe), en librairie le 15 septembre
À la librairie Musicalame le mardi 18 septembre
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