Loustal : pour ceux qui aiment le jazz

Portrait / Après Brüno en 2018, c’est lui qui donne des visages et des images au Festival Jazz à Vienne. Rencontre avec un illustrateur prolifique associant depuis plus de trente ans musiques et couleurs : Jacques de Loustal.

Droit comme un i, vêtu avec une élégance non ostentatoire, il saute prestement de sa bicyclette, semblant surgir d’un album de ses confrères Dupuy & Berbérian. Quelques volées d’escalier plus haut, on pénètre dans son atelier d’artiste ; les murs confirment sans l’ombre d’une hésitation son identité. Outre quelques peintures accrochées ici ou là, et quelques travaux en cours, une bibliothèque chargée jusqu’à la gueule d’albums et d’ouvrages mêlant jazz, cinéma, littérature et illustration, voisine avec des piles de CD.

L’atmosphère studieuse de cet antre du XIXe arrondissement parisien ne la rend pas moins accueillante : le canapé, guère éloigné de la table à dessin, ne semble pas avoir pour seule vocation de décorer les lieux. Jacques de Loustal s’y octroie une poignée de minutes de sieste chaque jour, dit-on. On raconte aussi qu’il aurait un autre studio dans les Monts d’Or quand il se déplace en région lyonnaise. Car l’homme aime les voyages, autant qu’il est passionné de musique. La faute à ses grands frères, qui l’ont initié au jazz, au blues et ensuite au rock :

J’ai eu la chance d’avoir vingt ans en 1976, à une époque où sortaient deux chefs d’œuvres du rock par mois. »

Philippe et Barney

Assez logiquement, il propose ses premiers travaux professionnels à Rock & Folk ; il y rencontrera Philippe Paringaux qui devient son premier scénariste. Une alchimie parfaite pour Loustal qui se serait bien vu illustrateur de livres dans les années 1920 ou 1930 :

« Je n’ai pas assez d’imagination pour inventer des histoires, seulement des situations. Si je n’écris pas, c’est que je suis trop dans la forme, ça me prend un temps fou. Quand je travaille sur un nouveau scénario, je regarde plus la façon dont il est écrit, l’époque et où ça se passe. »

Ensemble, ils vont signer une série d’albums dès 1980 dont Cœurs de sable et surtout Barney et la note bleue (1987), vraie fausse biographie d’un jazzman. Loustal renouvelle à la fois la représentation graphique du jazz et la BD en sabrant les phylactères. Entre illustration pure et narration dessinée, son style se marie admirablement au carnet de voyage, mais aussi à la mise en images d’œuvres littéraires, et notamment de Simenon, un auteur dont il ne se lasse de parcourir la faramineuse production, ni de louer l'écriture.

Le succès de Barney et la note bleue lui vaut d’être sollicité par le festival Pori Jazz. Mais aussi par de nombreux publicitaires — les années 1980 faisant volontiers appel à leurs talents — et par le cinéma. Parmi les affiches qu’il affectionne figurent celle d’un film “générationnel“, Un monde sans pitié (1989) d’Éric Rochant, ainsi que …Comme elle respire (1998), de Pierre Salvadori avec Marie Trintignant :

Son visage correspondait à ma “grammaire“, je ne l’ai pas décalquée. Ni rencontrée. Quelque temps après le film, j’ai appris que Salvadori avait acheté un petit portrait non retenu pour lui offrir.

Même s’il continue à en signer de temps à autres, Loustal en refuse beaucoup. Souvent parce que l’économie de l’affiche est drastique ; on ne paie que si le projet est accepté. Mais aussi parce que trop souvent, il ne voit pas qui ni quoi montrer — c’était le cas avec Les Neiges du Kilimandjaro de Guédiguian.

L’affiche qu’il regrette en revanche, c’est celle du Montreux Jazz Festival. L’histoire d’un faux-bon, d’une promesse de Gascon sur le Léman. Tout commençait bien par une rencontre avec Claude Nobs (l’emblématique patron du festival), qui déboule pendant un dîner en Suisse pour rechercher son vieux pote Paringaux. Celui-ci n’étant pas là, Nobs jette son dévolu sur Loustal et l’invite dans son “nid d’aigle“ sur les hauteurs de Montreux. Une agréable soirée se déroule, au terme de laquelle Nobs sort des contrats et commande l’affiche de la prochaine édition. Bonheur de Loustal qui se met au travail et envoie des esquisses sitôt rentré. Silence radio en retour, puis réponse gênée de Nobs, qui avait “oublié” que les cinq années à venir étaient déjà commandées. Son décès en 2013 enterrera toute velléité de collaboration.

Histoire d’une affiche

C’est en Isère que Loustal aura sa revanche. Après le règne graphique sans partage de son affichiste historique Bruno Théry, Jazz à Vienne décide de se doter d’un nouveau souffle visuel. Le festival isérois qui s'est rapproché d’un homologue dédié à la BD, le FIBD d’Angoulême, confie chaque année depuis 2018 à un dessinateur la réalisation de son affiche, et donc de l’ensemble de la communication de son édition. Succédant à Brüno, Loustal est choisi. Si l’exercice n’a rien d’une nouveauté pour lui, il ne cache pas sa surprise :

Quand ils m’ont appelé pour l’affiche 2019, c’était six mois avant l’édition 2018, si bien que je croyais que j’allais devoir faire celle de l’année en cours (rires). Ils s’y prenaient très tôt !

Après avoir interrogé ses commanditaires sur leurs motivations, Loustal opte pour un style “pinceau“, tel qu’il le pratique dans ses carnets de voyage, calligraphié et efficace — « histoire de gagner en lisibilité ». Et se lance dans une série d’ébauches et de propositions, « jusqu’à ce que plus rien ne sorte ». Bien entendu, bon nombre des croquis préparatoires intègrent des éléments “typiques” des lieux de Jazz à Vienne, comme les vestiges gallo-romains et le Rhône. Peu à peu, ceux-ci vont pourtant s’effacer : ne demeure qu’une île. Quant à la dominante rose parsemé de violine, elle découle d’une envie de ciel, dont la teinte azur s’avère incompatible avec l'idée d'un festival nocturne de jazz ; restaient les couleurs du crépuscule.

Pianiste de l’aquarelle

Pour un tel travail “de commande” à contraintes, appelant d’incessantes variations et déclinaisons pour la communication, mais aussi le recours aux fastidieux aplats, Loustal n’hésite pas à recourir à l’outil informatique : « c’est une boîte de couleurs en plus ; une technique comme le fusain ou l’huile ». Mais la machine ne remplacera jamais la couleur directe. Et surtout pas l’aquarelle :

ça, c’est de la vraie peinture, et pas du coloriage : injecter des couleurs dans beaucoup d’eau, contrôler la fusion, l’aléa… J’aime le fait d’avoir acquis cette technique et d’entretenir ce savoir-faire comme un pianiste fait ses gammes. Si pendant un an, je me mets à dessiner sur ordinateur, je vais perdre beaucoup de ce savoir-faire. La plupart du temps, on voit la machine derrière les aquarellistes qui se mettent à l’ordinateur. Sauf chez Cabanes, qui a transcendé l’outil.

C’est encore avec sa palette graphique qu’il achève une série d’illustrations qui fleuriront bientôt en Rhône-Alpes : il a en effet été retenu par la société des Autoroutes Paris-Rhin-Rhône en compagnie de graphistes et confrères tels que Floc’h ou Olivier Balez pour signer les panneaux d’animations culturelle et touristique signalant les points remarquables. Les voyageurs transitant par la Savoie et la Haute-Savoie ne pourront manquer ses réalisations. Est-ce un hasard si c’est précisément la route qui mène au festival de Montreux ou vers la dernière résidence lausannoise de Simenon ?

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