La sexualité à l'heure du féminisme

Nous avons interrogé des femmes, des hommes, des non binaires, des hétéros, des homos, des sapiosexuels, des asexuels, des bisexuels, des pansexuels, des célibataires, des couples, des trouples... Ce qu’il en ressort (et ce n’est pas un scoop) est clair : le respect et le consentement sont la clé, et le silence est la meilleure façon de conserver un ordre lié à l’oppression. Celle des minorités et des minorisés, dont les femmes font partie, est une réalité. Et elle a une incidence (notamment) sur leur sexualité. Alors parlons d’elles.

Rappel liminaire avant que l’on reçoive des propositions de stage de masculinité (oui, ça existe !) : être féministe, ce n’est pas être contre les hommes. C’est vouloir sortir de la domination masculine, du patriarcat. Parce qu’il est une réalité, et non un mythe (si vous tiquez, écoutez des podcasts – La Poudre, Les Couilles sur la table, Quoi de meuf, par exemple). Les choses étant posées, nous pouvons parler clitoris, chibre, masturbation, épilation, orgasme.

Le phénomène #MeToo a eu l’effet d’un ras de marrée. Outre les SMS d’anciens petits amis se demandant s’ils avaient été incorrects en insistant si lourdement et si longtemps (spoiler : oui) et les silences de ceux que l’idée même d’une égalité écorche (#NotAllMen, ouin ouin) et de ceux que l’indépendance et la liberté des femmes effraie (même inconsciemment), il a permis à la fois la libération de la parole (il manque encore celle de l’écoute) et celle, encore partielle, des corps. « #MeToo a été un déclic, celui de me réapproprier mon corps, de me respecter, de me faire respecter » explique Anna, 45 ans, célibataire. De l’aimer aussi, avec du gras, des vergetures, des seins qui tombent. Au-delà des pubs vantant les corps « parfaits » de notre société hétéronormée, de nombreuses études montrent que le male gaze* conduit à l’auto-objectivation, c’est-à-dire à adopter un regard extérieur sur son propre corps, avec ainsi la forte possibilité de créer un sentiment de honte, de dévalorisation. « Cette obsession de l’apparence mise en place par le patriarcat empêche les femmes d’être libres, invisibilise leur plaisir » précise Laura, 26 ans, du collectif MeToo Lyon**. S’en défaire n’est pas une mince affaire.

« Je suis grosse (97kg pour 1m68), poilue, et j’aime aujourd’hui profondément mon corps, grâce au féminisme. Avant, je me mettais une pression pour avoir une sexualité normative sans interroger mon envie ou celle de mon mari. Et puis les comptes Insta tels que Orgasme et moi, Jouissance Club ou Je m’en bats le clito, m’ont fait comprendre que notre sexualité était normale. Que la pénétration n’est pas une fin en soi » précise Julie, 37 ans, mariée depuis douze ans à Guillaume. Les poils ? « Ce n’est pas un sujet, j’aime le package complet » rétorque-t-il. Un avis pas toujours partagé. « Ça bouscule mes représentations et peut perturber mon désir » exprime Jean-Philippe, 46 ans, pourtant conscient de son conditionnement par la société. « J’ai l’impression d’être dans une forme de déconstruction. En tout cas, je m’y attache. Je scrute moins les corps des femmes, j’ai pris conscience de la gêne que cela peut occasionner » explique Olivier, 41 ans.

La loi du désir

« Le féminisme est un chemin vers une sexualité plus épanouie. Nous avons grandi dans une structure patriarcale dans laquelle nous n’avons pas toujours, en tant que femmes, été maîtresses de nos désirs » explique Laura. L’injonction à l’orgasme à tout prix, la course à la performance, l’idée selon laquelle l’homme serait une machine et la femme une petite chose fragile moins portée sur la chose (ou au contraire une "pute"), que l’orgasme prostatique est une affaire d’homosexuels, que la pénétration est forcément source de plaisir, qu’il y a une durée minimum qualifiant le rapport de bon, qu’il faut être en couple, que ne pas avoir de sexualité est honteux, que l’éjaculation est primordiale, que le clitoris n’est qu’un détail, que le phallus est la clé (merci Freud)… Les clichés et les stéréotypes ont la peau dure.

« On nous vend une femme aujourd’hui libérée, mais qui reste sous le joug des hommes. Combien de femmes pensent que la fellation est la norme sans même interroger leur propre envie ? » lance Marion Ghibaudo, chargée de prévention et de formation auprès de l’association Filactions***. Pour Pénélope, 38 ans, le manque de communication impacte son couple : « la reproduction m’a été apprise à l’école. Mais la sexualité, personne ne m’a rien dit dessus. Mon père zappait les scènes d’amour et de sexe à la télé. Je n’ai jamais parlé de sexualité avec quiconque, pas même avec mon mari, sauf dans le lit quand on pratique le sexe. J’ai beaucoup de mal à vivre une sexualité autrement que soumise. C’est un problème. »

Une réalité qui tend à changer, petit à petit. « Nous sommes dans la construction sociale. Grâce au féminisme, les femmes commencent à prendre conscience petit à petit qu’elles ont un désir sexuel en dehors des hommes » précise Krystel, du collectif MeToo Lyon. « Il est nécessaire de parler de sexualité sur la place publique, de ne pas la cantonner à l’intime » exprime Marion Ghibaudo. Parce que l’intime est politique. « Je n’ai jamais rencontré d’hommes totalement déconstruits » dit Julie. « Ni de femmes, d’ailleurs », conclut Krystel.

* "regard masculin", forme d’objectivation consistant à inspecter et évaluer le corps des femmes

** @collectifmetoolyon sur Facebook

*** Association contre les violences faites aux femmes : Filactions.org

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