Les trésors en Agfacolor de Paul-Émile Nerson

Photographie / Jusqu'à ce qu'un petit-fils retrouve une valise de trésors dans un grenier familial, il n'y avait qu'un témoignage photographique en couleur de la France sous la Deuxième Guerre mondiale, celui de la propagande. La soixantaine de clichés de Paul-Émile Nerson éclaire de façon exceptionnelle le quotidien pendant le conflit, de surcroît à Lyon. Ce fut une expo au CHRD. C'est, depuis cet automne, un ouvrage remuant.

En 2015, tout juste déballées, les photos couleurs (initialement, des diapositives) de Lyon pendant la guerre faisaient l'objet d'un accrochage mémorable au CHRD, un choc. Avec plus d'une centaine d'autres, en noir et blanc, elles sont désormais imprimées et permettent de documenter les Années noires. Jusque-là, seuls les clichés d'André Zucca rendaient compte, en couleurs, de cette époque mais il travaillait pour le magazine allemand de propagande nazie Signal — l'exposition qui lui était consacrée à la Bibliothèque historique de la Ville de Paris en 2008 avait même fait polémique. Et voici que surgissent celles de Paul-Émile Nerson qui n'était « pas un photographe professionnel » mais « un professionnel de la photo » comme le résume l'historien Régis Le Mer dans cet ouvrage. Arrivé de Nancy en 37, sans son épouse, le jeune homme va passionnément aimer sa vie lyonnaise. Dans son atelier au fond de la cour du 4 quai Gailleton, il fabrique des agrandisseurs photos de la marque PEN qu'il commercialise.

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Rien pourtant ne permet d'expliquer comment il a eu accès à ces pellicules couleurs Agfacolor utilisées pour la première fois aux JO de Berlin et accessibles aux seuls Allemands « ou des Français travaillant pour eux ». Nerson sillonne la ville et met en boite les places, les rues, les passants... À partir du 16 septembre 1940, il le fait au péril de sa vie puisque toute photo est interdite en extérieur « aux gens ordinaires » et qu'il est Juif.

Montée de l'Observance

L'autre sujet de son amour est Suzanne Perné avec qui il vivra jusqu'à son décès en 1976. Ils n’auront pas d'enfant. Pierre Chevillot, co-auteur du livre et qui a retrouvé cette malle de souvenirs inouïs, est issu d'une relation de jeunesse. Nerson la photographie à Lyon, chez eux, à la Tête d'Or... et aussi dans la campagne bressane où elle revenait avec lui, à vélo, glaner de la nourriture pour se nourrir en ces temps glabres. Les rires des enfants dans les foins sont saisissant et contrastent avec les clichés de soldats allemands traversant la rue de la République ou celle des bâtiments éventrés par les bombardements de juin 1944 ou encore avec la fumée qui émane de l'avenue Berthelot quand des immeubles sont soufflés et que la cible des voies ferrées est manquée. 717 morts et 1129 blessés. Ces descriptions sont aussi la richesse de cette publication puisque chaque photo — que Nerson a très rarement datée — a donné lieu à un travail approfondi de contextualisation en observant les signes de la nature (feuillage des arbres...), les affiches sur les murs, les détails des uniformes... Ne pas se fier à la forte luminosité : les pellicules étaient en 100 ASA et nécessitaient d'être utilisées par temps clair ! Même les ponts, tous dynamités à l'exception d'un seul (!) en septembre 1944, sont recouverts d'un ciel bleu.

Ces photos permettent aussi d'inscrire la Cité dans l’urbanisme de cette période avec par exemple des infrastructures disparues (la splendide allée métallique sur le pont de la Boucle devenue pont Churchill) et presque avant-gardistes (la piscine sur la Saône en contre-bas du pont de la Feuillée) ! Ainsi se dessinent les jours lyonnais sous la guerre, de la vie intime à celle collective et publique, parfois hautement politique même avec ce témoignage de l'inscription « Vive de Gaulle » au pied de la statue de Louis XIV lors de la commémoration du 14 Juillet 43 instrumentalisée par Vichy. Paul-Émile Nerson n'avait pas pour profession reporter mais témoigne ici de sa résistance au régime nazi de façon d'autant plus précieuse que sa démarche clandestine n'est pas passée sous la fourche caudine de la censure.

Régis Le Mer et Pierre Chevillot, Les Couleurs des années noires - photographies de Paul-Émile Nerson, 1938-1945 (Presses Universitaires de Grenoble)

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