Hell on Wheels : Un train d'Enfer

Coup d'oeil sur la nouvelle série d'AMC, Hell on Wheels, réflexion crasseuse et magnifique sur la construction du chemin de fer américain et la naissance chaotique d'une nation. Où la civilisation comme premier cercle d'un enfer sur roues.

Les fans de séries ou les médias ont, ces derniers temps, tendance à faire de la chaîne câblée américaine AMC la nouvelle HBO. Et pour cause c'est la chaîne de Mad Men et de Breaking Bad, deux des phénomènes télévisés du moment. AMC ou la chaîne qui aime à remuer le couteau dans les plaies de l'Amérique, passées, présentes ou futures (il n'y a qu'à prêter attention aux titres de ces séries, tous relatifs à la folie, à la mort ou au mal) : en vedette en ce moment : la série The Walking Dead, road-movie zombiesque à succès tiré d'une BD culte.

Mais alors que la série créée par Frank Darabont, depuis démissionnaire, connaît un coup d'arrêt scénaristique (faute de budget, les protagonistes de la série sont contraints à la sédentarisation dans une ferme), c'est une autre « road-movie série » qui pourrait devenir le hit de la chaîne, ou du moins le mériterait : Hell on Wheels.

Les deux séries se posent d'ailleurs chacune à une extrémité de la civilisation pour mieux se rejoindre en enfer - avec, comme figure centrale, un héros à chapeau, comme dans tout mythe américain : la première raconte sa fin et le retour à l'état sauvage après l'invasion du monde par les zombies, la « mort en marche » quand la seconde raconte sa naissance avec l'invasion du territoire américain par le chemin de fer, « l'enfer sur roues ».

Zigzag

Alors même que sort en librairie Road Movie USA de Jean-Baptiste Thoret et Bernard Benoliel (Ed. Hoeboke) un fantastique ouvrage consacré aux rapports entretenus par le road movie avec le territoire et l'histoire américaines depuis l'invention du cinéma (1), Hell on Wheels est une preuve de plus qu'en réalité l'Histoire des Etats-Unis, ou plutôt sa non-Histoire, est une géographie.

Nous sommes donc en 1865, quelque part dans les plaines de l'Ouest sur le chantier de construction de l'Union Pacific Railroad, l'une des compagnies de chemin de fer chargées de relier l'Est des Etats-Unis aux quelques Etats de l'Ouest, coupés du « monde civilisé » par des étendues sauvages qui n'ont pour l'instant que le statut de « territoires ». 1865, date fatidique : l'aube de ce que les Américains appelleront le « Gilded Age » (« l'Age Doré », 1865-1918), qui voit donc à la fois le développement du chemin de fer et une spectaculaire industrialisation. Mais aussi le temps de la reconstruction et de la réconciliation, puisque les canons de la Guerre de Sécession (cette Civil War, magnifiquement documentarisée par le cinéaste Ken Burns) sont encore chauds.

Hell on Wheels est le nom de la ville-chantier itinérante qui suit au ralenti la construction du rail, mètre par mètre. Comme Deadwood, la regrettée série d'HBO, à laquelle elle est inévitablement comparée – elle n'en a toutefois pas la dimension shakespearienne et malade –, Hell on Wheels mêle la grande Histoire à la fiction, les héros imaginaires et les personnages historiques. Tel Thomas Durant (2) qui dirige le chantier de l'Union Pacific et qui, subventionné au kilomètre, construit en zigzag.

Train de vie

Ce que montre avant tout Hell on Wheels, comme d'ailleurs Deadwood, c'est à quel point la civilisation américaine se construit sur le chaos, l'anarchie la corruption et, déjà, la spéculation (Durant détourne de l'argent public pour spéculer sur les actions du chemin de fer, ce qui nous rappelle vaguement quelque chose). Bref, cette idée que la grandeur de l'Amérique, loin du mythe longtemps entretenu, est née dans la boue et qu'avant de dompter cette nature sauvage, il fallu la souiller, lui forcer la main. Imposer un mode de vie par la force. A quel point aussi le mot civilisation est à mettre entre guillemets.

Des Indiens à l'Irak et cette absolue certitude américaine de devoir imposer son mode vie, de faire le bien de l'autre contre son gré, la résonance d'Hell on Wheels n'est pas innocente. Témoin cette scène géniale où les Cheyennes, invités à venir négocier un « accord » tout cuit, débarquent, emplumés et magnifiques, à Hell on Wheels avec pour premier contact, une prostituée qui vomit ses tripes et un chien mort dans une flaque. Et les Blancs de leur offrir, sublime ironie : « un meilleur train de vie ». « Meilleur que quoi ? répond le chef indien, je n'ai jamais vu un endroit aussi sombre et dégoûtant ».

Arrivés emplis de scepticisme, ils repartent pourtant résignés, comprenant qu'ils ne pourront pas lutter quand le cheval de fer bat l'un de leurs cavaliers à la course. Une fois lancé et selon l'expression consacré : « on n'arrête pas le progrès ». Les guerres indiennes et les traités de paix n'y pourront rien. Comme le prophétise Durant au chef Cheyenne, les Indiens finiront bel et bien dans des réserves, mais le Paradis promis sera un Paradis perdu.

Vengeance

Le personnage principal Cullen Bohannon (Anson Mount, mélange tout en raideur du shériff de Deadwood incarné par Timothy Olyphant et de John Marston, héros du jeu vidéo culte Red Dead Redemption) incarne à lui seul toute l'ambiguïté de cette Amérique en construction. Ancien maître d'esclave, il a combattu dans l'armée sudiste mais il est de ceux qui traitent le mieux les Noirs et n'a rien contre les Indiens.

En réalité, Bohannon, et là encore la résonance est très actuelle (de Rambo aux vétérans d'Irak), est traumatisé par la guerre. Qui plus est, il n'est motivé que par la vengeance. Il a rejoint Hell on Wheels à la poursuite des derniers assassins de sa femme, d'ex-soldats du Nord. Il se propose comme contremaître pour échapper à la potence suite à un meurtre (celui d'un homme qu'il voulait tuer) dont il s'est accusé à la place d'un ouvrier métisse (incarné magnifiquement par le rappeur Common, en symbole d'une communauté d'ancien esclaves à qui la liberté n'apporte pas davantage de place dans la société, encore moins de respect).

Là où Bohannon métaphorise à merveille le mythe américain c'est à la fois comme incarnation d'une blessure originelle, d'une impossible réconciliation et parce qu'au finale, vengeance, revanche, accomplissement et rédemption ne font qu'un dans cette entreprise chargée d'unifier un pays par le crime et le désordre.

Suture

La locomotive, et Bohannon lui-même, sont des monstres fumants qui sèment la mort, brûlent tout sur leur passage, ainsi que le symbolise le générique, pour effacer, chacun à leur manière, le passé. Et surtout qui ne disent rien de leurs intentions, cachées derrière un écran de fumée : du charbon, du colt, de la cigarette. A ceci près que le chemin de fer est censé amener le bien quand il n'amène que le mal, et que Bohannon, animé des plus mauvaises intentions (tuer), finit malgré lui par faire le bien. Mais ce que les deux ont en commun c'est la perte de l'innocence.

Le chemin de fer c'est la fin de la virginité de la nature, de l'ouest sauvage, par un éventrement littéral de la terre. Les scènes de travaux se résument d'ailleurs la plupart du temps à des ouvriers, noirs et irlandais (4), creusant des tranchées, comme s'il s'agissait de saigner le pays. Comme le dit Bohannon : « tout a un prix, il faut juste accepter de le payer ».

Un mal nécessaire car, paradoxalement, pour les Etats-Unis, le chemin de fer agit également comme une suture (ce à quoi ressemble littéralement un rail), une cicatrice qui traverse le pays pour en refermer les plaies à vif, causées par les Américains eux-mêmes. Car en reliant les deux côtes Est et Ouest de l'Amérique, le chemin de fer raccommode surtout la plaie Nord-Sud encore à vif. Une plaie qui dans Hell on Wheels et pour l'Amérique toute entière de l'époque n'a pas fini de saigner. Au fond, ce que raconte The Walking Dead sur la même chaîne est sans doute un « juste » retour de bâton.

(1) Un travail qui tout en étant très différent, complète à merveille pour le cinéphile amateur de western ou les curieux d'Histoire américaine, le livre de William Bourton, Western, une histoire parallèle des Etats-Unis (PUF), sur les différentes étapes du Western comme autant de reflets des époques de l'Histoire américaine.

2) D'autres personnages sont plus librement inspirées de personnages ayant réellement existé, comme Eva la prostituée au visage tatoué, élevée par des Indiens, qui fait écho à l'histoire vraie d'Olive Oatman une blanche élevée par des Mohave, qui arborait un tatouage caractéristique sur le menton. En revanche, elle ne fut jamais prostituée.

(3) Ceci rappelant au passage, au risque d'enfoncer une porte ouverte, que la ligne de démarcation de l'idéologie à l'égard des Noirs et de l'esclavage était bien plus poreuse que la rivière Ohio, frontière naturelle séparant les Etats du Nord abolitionnistes, des Etats du Sud Esclavagistes (dont certains se rangèrent aux côtés de l'Union). On ignore trop souvent que le Général Lee qui commanda l'armée du Sud avec un brio légendaire (et donnera pour l'anecdote son nom à la voiture des frères Duke de Shériff fais moi peur) n'était pas un esclavagiste, encore moins un sécessionniste. Général de l'Armée américaine placé devant un choix : défendre les Etats-Unis ou se ranger aux côtés de la Virginie, son Etat natal, fit le « choix du cœur », si l'on peut l'appeler ainsi, et combattit comme un lion pour une cause en laquelle il ne croyait pas. Après la guerre il se félicita de l'abolition de l'esclavage comme la meilleure chose qui pouvait arriver aux Etats-Unis. Autre ironie de l'Histoire, ce sont les Démocrates, parti esclavagiste, qui ont fait élire en 2008 un président noir se réclamant (à raison) de Lincoln, républicain pur jus dont le parti défendait l'abolition.

(4) Vérité historique et autre clin d'oeil à notre époque, les Chinois, absents physiquement de la série, qui travaillent plus à l'Ouest sur le chantier de la Central Pacific (concurrente de l'Union Pacific) sont présentés comme des « abeilles ouvrières » plus efficaces et donc comme une menace pour la prospérité de l'Union Pacific, dont le chantier est au bord de la faillite. Comme un clin d'oeil à la « menace chinoise » qui pèse aujourd'hui sur la domination américaine.

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