Ecrire à la kalachnikov

Voyou dans les rues de Karkhov, poète dissident à Moscou, clochard, puis valet de chambre d'un milliardaire à New-York, écrivain en vogue à Paris, soldat dans les Balkans, opposant politique à Poutine : chat sauvage venu du froid, Limonov a eu neuf vies. Son premier roman fait le récit de l'une d'entre elles. Une histoire violente, peinte au vitriol.

En 1983, un cocktail Molotov importé d’URSS fait sensation dans le paysage littéraire français. Edouard Limonov, auteur d’un premier roman au titre pour le moins sulfureux, Le poète russe préfère les grands nègres, a tout pour intriguer, et donc pour plaire. En ces temps de fin de Guerre Froide, les dissidents russes publiés en occident se suivent et se ressemblent : vieux, barbus, mal fringués, dissertant inlassablement sur le christianisme orthodoxe, le goulag et leur amour de l’Amérique, on finit par les trouver un peu rasoirs. Limonov est d’une autre trempe. Né dans une banlieue prolo à Karkhov, forgé par les bagarres de rue et la petite délinquance, sauvé par son amour des lettres qui lui vaut de devenir poète dissident à Moscou, puis d’être expulsé d’URSS dans un vol pour New-York, sa vie se lit comme un roman.

D’ailleurs, sa vie, Limonov ne parle que de ça. Dépourvu d’imagination, le chat sauvage venu du froid écrit uniquement sur ce qu’il connait. Le poète russe préfère les grands nègres est donc le récit de sa rencontre avec le monde libre et la démocratie, dans les bas-fonds de New York. Mais là où ses pairs s’escriment à encenser leur nouvelle terre d’accueil, le message que Limonov adresse à l’oncle Sam ressemble d’avantage à un coup de genou dans les couilles. Passé l’euphorie des premiers instants, le voyou de Karkhov réalise rapidement qu’il a troqué un système oppressif pour un autre. En URSS, les cadres du parti possèdent les meilleurs logements, le champagne, la bonne bouffe et les plus belles femmes. Aux Etats-Unis, ce sont les banquiers et les businessmen. En URSS, Edouard était un poète dissident en vogue. Aux Etats-Unis, dénué de toute relation, parlant un anglais approximatif, il se fait rapidement largué par sa femme, une Russe lassée de coucher avec un loser, ne trouve personne pour l’éditer, enchaine les boulots merdiques, couche dans des hôtels sordides ou dans la rue, et finit par se taper des clodos dans Harlem, seuls êtres humains encore disposés à lui témoigner un peu de tendresse. Autant de péripéties qu’il nous relate dans ce premier roman, avec un style incisif, brutal, au vitriol.

Sa prose ne se fixe aucune limite. Limonov n’hésite pas à nous décrire longuement la fellation qu’il offre à un clochard, ses séquences d’onanisme frénétique qui suivent sa rupture, où il s’affuble des sous-vêtements de son ex, le goût de la soupe aux choux aigres qui constitue sa principale alimentation, son hôtel où se côtoient junkies, macros et filles de joie. Ni à nous livrer ses réflexions hargneuses sur la société occidentale, son écrasant complexe de supériorité et sa manière de traiter les perdants. Curieusement, aucun éditeur américain n’accepta son manuscrit, qu’il fit donc publier en France en émigrant à Paris. Première grenade littéraire d’une longue série.

Suivez la guide !

Clubbing, expos, cinéma, humour, théâtre, danse, littérature, fripes, famille… abonne toi pour recevoir une fois par semaine les conseils sorties de la rédac’ !

En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies destinés au fonctionnement du site internet. Plus d'informations sur notre politique de confidentialité. X