The Rover

Un film d'une sécheresse terrible, misanthrope, antipathique. Mais également une seconde révélation du talent de David Michôd pour donner de l'ampleur à un matériau difficile d'accès. Un film qui partage beaucoup avec le jeu vidéo : "The Last of Us"

Une fois de plus, je constate la limite si fine entre cinéma et jeu vidéo.

Ce qui est passionnant à observer, ce sont les intéractions entre ces deux médias, l'un jeune, mais évoluant à une vitesse spectaculaire, l'autre technologiquement en (r)évolution mais stagnant coté propositions.

Le jeu vidéo parvient à concurrencer le Cinéma, en terme de mise en scène, de direction artistique ou de narration. Il concurrence également la série télé actuelle, lorsqu'il s'agit de narration étalée sur la longueur, de développement de personnages.

Cet état de fait a bien sur été repéré par l'industrie du cinéma, qui maintenant, commence à s'intéresser à la production d'adaptations de jeux (SILENT HILL, etc.), à intégrer des acteurs reconnus (Kevin Spacey - Call of Duty, Ellen Page - Beyond 2 Souls) dans le monde vidéoludique. Le Cinéma a façonné le jeu vidéo, qui, arrivé à maturité, commence maintenant à inspirer le cinéma. La boucle est bouclée.
Bien sur, cet avis est tout à fait personnel.

Quelques exemples :
- Un jeu tel que Bioshock s'appuie à la fois sur une direction artistique incroyablement travaillée (le jeu se passe dans une cité sous marine abandonnée et ancrée dans les années 50 (!!!) ancien fleuron d'une sorte d'utopie mi communiste mi capitaliste) et un scénario fouillé riche en révélations et en rebondissements. Un chef d'oeuvre.
- La série Uncharted, elle, représentait un hommage entier au cinéma de Spielberg, notamment INDIANA JONES.
Une série qui prit de la maturité jusqu'à transcender l'hommage en génie pour fournir l'une des aventures vidéo-ludique les plus impressionnantes ever, avec Uncharted 2, modèle absolu de rythme, d'immersion et de mise en scène - l'une des scènes nous plaçait dans un immeuble népalais attaqué par un hélicoptère surarmé ; le bâtiment finissait par s'effondrer, avec nous à l'intérieur (!!! bis).

J'aborde légèrement ce thème car pour moi, l'une des inspirations directe de THE ROVER ne vient pas du cinéma, mais justement du jeu vidéo.

Précisément, le Last of Us du même studio qu'Uncharted (Naughty Dog).

Le jeu mettait en scène Joel et Ellie, parmi les survivants d'un monde apocalyptique (une maladie transforme les humains en simili-zombies), un monde cruel ou la menace la plus forte n'est généralement pas zombiesque, mais humaine.

Le jeu, par sa mise en scène plus sobre que tape à l’œil, une sensibilité portée sur l'émotion lente, une direction artistique incroyable de précision, réussissait à nous immerger, dans son univers pourtant pas si original, et au final, nous assommer lors d'un final absolument dément et pourtant dénué de tout spectaculaire.

La relation entre les personnage et la consistance de cet univers post apo étaient bien plus mis en avant que les mécaniques de jeu vidéo - au demeurant très réussies

David Michôd meets the Last of Us

THE ROVER partage plusieurs points avec The Last Of Us.
Eric (Guy Pearce, parfait) et Joel partagent le même look. 40 ans, barbe dégueu rappelant solitude et absence de repères familiaux, violence instinctive et in-hésitante, informations sur son passé délivrées au compte goutte, misanthropie inexplicable.

Pour Joël et Eric, chaque être humain n'est qu'une donnée. Plus ou moins utile, plus ou moins problématique. Une vision affreuse de ce qu'il reste de l'espèce humaine, qui rend obligatoirement le personnage antipathique, mais intriguant.

Ce personnage donc, semble trouver en son binôme -Ellie dans le jeu, Rey (Robert Pattinson très bien aussi) dans le film, une raison de (sur)vivre car la protection de cet autre, induit une forme d'attache, ravive un sentiment qui semblait disparu à jamais.

Pour autant, même si le film et le jeu ne proposent aucune forme d'espoir, ils le font d'une manière très différente.
Par sa nature même de jeu vidéo, Last Of Us nous forçait à intégrer les sentiments des personnages, puisque nous avions vécu de manière active plusieurs évènements traumatisants, ce qui renforçait les décisions ultimes des personnages, décisions d'une noirceur totale.

THE ROVER, bien sur, ne peut pas proposer quelque chose d'aussi fort avec une telle base. David Michôd pousse tout de même avec talent sa vision misanthrope jusqu'au bout et ne propose absolument aucune échappatoire, morale ou physique, à ses personnages.

Son talent est d'induire une forme de logique à ce raisonnement nihiliste.

Ambiance désertique

La direction artistique du film, emprunte également quelques éléments au jeu vidéo. Notamment cette ambiance sèche et désertique, mais surtout grâce à la narration à travers les environnements. Personne n'explique jamais ce qu'est le fameux "effondrement" indiqué dans le générique, pourtant, quelques détails très subtils révèlent un univers beaucoup plus fouillé qu'il n'y paraît.

Par contre, Last of Us permettait d'avoir un aperçu plus global du sinistre, de par la variété des environnements proposés. Urbains ou bucoliques, vivants ou désertés.

THE ROVER se passe intégralement dans un paysage désertique immense mais paradoxalement anxiogène.
Enfin, la dynamique même du film, un road movie entrecoupé de rencontres systématiquement très violentes, calque le rythme du jeu vidéo, grand moment contemplatif entrecoupés de gunfights.
La violence, dans les deux cas, est explicite, graphique, frontale et concise.

David Michôd déjà réalisateur du très bon ANIMAL KINGDOM rajoute sa personnalité à l'ensemble.
Un vrai talent de mise en scène dans l'espace et la narration place chaque personnage sur une trajectoire d'une grande logique ; Ayant totalement assimilé la base de son matériau, la survie post apocalyptique, il observe des personnages n'ayant rien à perdre sinon la vie. Comme des animaux, tous agissent à l'instinct. Lorsque les émotions rentrent en compte, cela signifie généralement la mort. Cruel, mais sans doute réaliste et d'autant plus troublant.

Cette ambiance sèche, cruelle, malsaine est accompagnée par une musique dure, à l'image du saxophone rèche de Colin Stetson. Façon de rappeler violemment au specateur de rester autant à l'affut que les protagonistes du film.

En bref, un film d'une sécheresse terrible, misanthrope, intransigeant. Mais également une seconde révélation du talent de David Michôd pour donner de l'ampleur à un matériau difficile d'accès.

Un film qui par sa direction artistique et son sujet se rapproche beaucoup d'un des meilleurs jeux vidéo de notre génération : The Last of Us.

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