Dans les coulisses des Labyrinthes du coeur

La salle est plongée dans le noir, le rideau se lève, une lumière apparaît, elle éclaire un corps suspendu dans les airs qui descend lentement puis disparaît. Le corps réapparaît par une porte auréolée d’un faisceau lumineux blanc, puis reste là, immobile. Une voix suave s’élève : «OK, merci Aurélie, on va la refaire». On aurait presque oublié que c’était une répétition.

A l’occasion de la 16e Biennale de la Danse, l’Opéra de Lyon et le Petit Bulletin ont invité une étrange brigade de reporters amateurs à assister à un filage du spectacle de Jiri Kylian Heart’s Labyrinth, création par le Ballet de l’Opéra de Lyon, qui sera présentée du 10 au 13 septembre lors d’une soirée éponyme, Les Labyrinthes du Cœur. Mais aujourd’hui, ce n’est pas un spectacle que nous avons vu. Non, il y en avait deux.

Certes, sur le papier, c’était deux fois la même œuvre : la même musique, les mêmes mouvements, les mêmes tableaux. Une femme descend un escalier, disparaît dans la pénombre, réapparaît par une porte, entame un trio, puis laisse place à une nouvelle danseuse qui entre par la même porte, danse en duo. C’est ensuite au tour d’un quatuor envolé, puis d’un dernier duo. Neuf danseurs au total, quatre femmes aux robes d’une pâleur glaciale, cinq hommes aux corps massifs. Certes, le casting a changé entre la première et la deuxième présentation, mais finalement ce n’est pas ça l’important. Non, ce soir nous avons vu deux spectacles différents car nous avons chacun été deux spectateurs différents.

Récurrence des chutes

Au premier tour, on joue l’apprenti-chroniqueur, muni de son crayon, son appareil photo, on s’arrache les yeux pour griffonner dans le noir sur un bout de papier quelques mots, on cherche le bon angle pour un cliché parfait, appliqué à tout observer, à garder en tête l’histoire de ce ballet : Jiri Kylian l’a imaginé en 1984 suite au suicide d’une de ses danseuses du Nederlands Dans Theater. Alors on réfléchit et on trouve : la récurrence des chutes, l’omniprésence de ces corps de femmes inertes, abandonnés aux bras de compagnons d’infortune, ou traînés à terre par de sombres fossoyeurs. C’est un ballet macabre que Jiri Kylian nous offre, où les doigts se pointent pour dénoncer l’acte impardonnable, où les survivants se jettent dans les bras les uns des autres pour se soutenir face à une inexplicable absence, où une femme cache son visage honteux derrière les volants de sa robe.

Dernière étincelle

Au deuxième tour, on abandonne son stylo et on reprend sa place de spectateur anonyme, bien assis dans son fauteuil. Les danseurs ne sont alors plus des conteurs, mais simplement des corps en mouvement, on oublie presque la narration, on s’amuse même d’un regard complice échangé à la dérobée : un danseur a échappé la main de sa partenaire et l’a déséquilibrée ; cette dernière lui sourit fraternellement alors qu’il s’excuse, et l’erreur est effacée. Ce n’est plus pour notre intellect que le spectacle se joue ; non, c’est notre émotion qui ressort quand nous voyons ces danseurs se mouvoir, s’accorder, puis briser les harmonies.

C’est notre souffle qui est coupé de voir ce corps tournoyer dans les airs, puis soudainement inerte, traîné au sol par les bras qui quelques secondes auparavant en faisait un oiseau. C’est avec naïveté et fascination que nous regardons cette porte lumineuse, la seule constante de cette pièce, immobile, rassurante. Rassurante parce qu’à chaque fin de scène, une femme meurt, disparaît en coulisse, mais un nouveau corps, encore plein de vie, entre par cette porte et nous fait oublier l’enveloppe vidée de la danseuse précédente. C’est aussi cette porte qui fournit la dernière source de lumière pour le dernier duo, dernière étincelle d’espoir d’un ballet tragique.

Carole Raphanel

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